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“L’important c’est de remettre les gens dans la nature proche et locale, ordinaire, en connexion avec les personnes qui habitent le territoire”

par | 24 septembre 2020


“Jeunesse et biodiversité”, c’est le thème au cœur de la soirée d’échange et de débat organisée ce 24 septembre à Vouneuil-sur-Vienne, à l’occasion des 40 ans de la Réserve Naturelle Nationale du Pinail (86). Alors, qu’est-ce qui se joue dès l’enfance dans l’engagement d’un citoyen pour la conservation de la biodiversité ? Comment reconnecter l’homme avec la nature, et quels sont les enjeux ? Interview de Sylvie Houte, ingénieure d’études au CNRS – Centre d’Etudes Biologiques de Chizé.


Nos sociétés modernes ont fortement distendu le lien entre l’homme et la nature. Quel est l’impact de cette déconnexion, tant pour les individus que pour la conservation de la biodiversité?

La psychologie environnementale s’est intéressée à ce sujet-là pour essayer d’expliquer le désintérêt des citoyens vis-à-vis des questions de nature. Dans un premier temps, de nombreuses recherches ont été menées autour des bénéfices de cette connexion à la nature. Elles ont clairement montré l’impact sur le bien-être physique mais aussi psychique et cognitif. Un déficit de nature, chez les enfants notamment, entraîne une baisse de la créativité, une diminution de l’identité communautaire, une perte du rythme du temps, une perte du sens de l’espace, du territoire, jusqu’à des dépressions, de l’obésité. Différentes études ont montré que les effets de la connexion avec la nature sont très rapides et puissants : deux heures à l’extérieur, en promenade ou autre, suffisent à apaiser les gens et diminuer le stress. Cette émotion et ce sentiment de bien-être vont favoriser une prise de conscience plus aiguë des problèmes environnementaux, et la capacité des gens à observer ce qui se passe autour d’eux. Or aujourd’hui nous vivons dans des sociétés modernes caractérisées par ce qu’on appelle “l’extinction de l’expérience de nature”, définie dans les années 1990. Et c’est justement cette déconnexion qui explique notre désintérêt total face à l’érosion de la biodiversité. Les conséquences peuvent être dramatiques pour l’avenir : on est en train de fabriquer des enfants qui, n’ayant pas construit cette identité environnementale, deviendront des adultes qui ne revendiqueront pas la nature. Cela veut dire qu’on pourra la détruire sans qu’ils défilent dans la rue pour la défendre. Cette tendance est moins rapide en milieu rural qu’en ville parce que les enfants ont encore la chance de bénéficier de jardins, de potagers, mais quand même, c’est un véritable problème de société.

Vous évoquez les enfants, c’est au plus jeune âge que tout se joue ?

On sait que dans la jeune enfance il va se passer beaucoup de choses. C’est une période clé pour la promotion d’un comportement pro-environnemental à l’âge adulte. Cela peut être des expériences comme la pêche, la chasse, les jeux libres, le fait de collectionner des plantes ou de capturer des insectes, mais aussi les randonnées, le camping. On constate quand même que les comportements pro-environnementaux seront beaucoup plus forts quand les activités dans l’enfance se sont déroulées en milieu naturel, sauvage, plutôt que domestiqué. Donc oui, l’enjeu majeur actuellement ce sont les enfants. C’est là que tout se joue. Cela ne veut pas dire que c’est trop tard à l’âge adulte, je le vois dans mes projets de science citoyenne, mais c’est beaucoup plus difficile. Si on n’a pas eu d’expérience de nature dans la jeune enfance, d’autres facteurs vont jouer sur l’intention d’adopter un comportement pro-environnemental, mais probablement moins vite.

Comment créer les conditions de reconnexion entre l’homme et la nature ? A quelle échelle est-il pertinent d’agir ?

Ce qu’on vise, au-delà d’un changement de pratique, c’est une transformation sociale, un changement de paradigme, pour les citoyens, les politiques publiques, les associations d’éducation à l’environnement, les scientifiques. Parce qu’on le voit bien: on a les connaissances, les financements, mais ça ne fonctionne pas, l’effondrement de la biodiversité continue. Nous ne répondrons pas aux enjeux environnementaux si nous ne changeons pas notre perception. En se déconnectant de la nature nous avons perdu beaucoup de compétences, de connaissances, mais nous avons aussi modifié les perceptions sociales de la nature, de la relation entre l’humain et le non humain, ce qui est ensuite amplifié par d’autres phénomènes. Amusez-vous par exemple à taper le mot “animaux” sur un moteur de recherche et vous verrez que vous ne trouverez que des images de mammifères. Et parmi ces mammifères, 60% sont des espèces exotiques alors que la recherche est faite en français ! L’important, c’est de remettre les personnes dans la nature proche et locale, ordinaire, en connexion avec les gens qui habitent le territoire, et les amener à considérer la biodiversité comme un bien commun. Du côté de la recherche, nous ne travaillons plus à l’échelle des écosystèmes mais des socio-écosystèmes. Il est aussi intéressant de s’appuyer sur ce qu’on appelle “l’attachement au lieu”, autrement dit le lien qu’on peut développer avec le milieu dans lequel on vit et avec la communauté qui partage le même milieu. On a réalisé que les personnes qui sont attachées à leur lieu le connaissent très bien, elles ont une réelle habileté à détecter des transformations du paysage par exemple, et cet attachement augmente le désir de le protéger.

Qui porte cette approche différente de l’expérience de nature, plus émotionnelle que strictement pédagogique ?

Il faut aller puiser dans les mouvements d’éducation populaire liés à l’environnement. Personnellement, je recommande la lecture des livres de Louis Espinassous. Non seulement c’est un éducateur, mais c’est aussi un écrivain, un poète, qui a créé et vécu ce mouvement d’éducation populaire à l’environnement. Je m’en suis inspirée dans mes travaux. C’est le contact direct et émotionnel avec la nature, le jeu libre, sans objet et sans artifice. On le voit repris en ce moment avec “l’école dehors”, et notamment en Poitou-Charentes qui est probablement la région la plus en avance en France sur ces questions. C’est véritablement dans ces mouvements qu’il faut aller chercher les solutions.

Vous-même vous menez un travail de recherche-action dans la Zone Atelier Plaine et Val de Sèvre. De quoi s’agit-il ?

La Zone Atelier Plaine et Val de Sèvre est le secteur d’études de l’équipe Agripop du CNRS de Chizé, dont je fais partie. De mon côté je m’intéresse justement à ces déterminants des relations que l’on construit avec la nature, parce qu’elles vont influencer nos représentations sociales de la nature, qui elles-mêmes vont influencer nos choix de vie, les produits qu’on va consommer etc., et auront au final un impact sur la conservation de la biodiversité. J’ai développé en 2012 un dispositif qui s’appelle “Mon village, espace de biodiversité”. L’idée était de proposer aux citoyens une démarche expérientielle. On met les gens en situation, en milieu naturel, avec l’objectif d’améliorer la relation entre la personne, le groupe social et l’environnement. C’est ce que j’ai fait sur 23 communes au sud de Niort, en impliquant l’ensemble des écoles primaires, élus locaux, agents communaux, apiculteurs, habitants. Cela représente 1500 foyers. De nombreuses actions ont été menées : programme scolaire, installation de ruchers pédagogiques communaux dans tous les villages création d’œuvres d’art collectives, organisation d’universités populaires, et bien d’autres actions, toutes étant reliées les unes aux autres. Essayons donc de développer des programmes de recherche beaucoup plus en lien avec la société.


Propos recueillis par Hélène Bannier
Photo haut de page : Claire Marquis
Photo portrait : cebc-cnrs

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