À Argentonnay dans les Deux-Sèvres, l’association La Colporteuse pilote jusqu’au 9 octobre quatre semaines d’ateliers avec un groupe de jeunes suivis par la Mission Locale. Une initiative menée en partenariat avec la Maison de l’Emploi du Bocage Bressuirais. Leur mission : fabriquer des toilettes sèches et une douche écologique à partir de matériaux de récupération pour un écolieu développé par La Colporteuse. Une expérimentation de plus pour ce tiers-lieu à la folle histoire, installé dans un château médiéval redevenu ce à quoi il était voué depuis toujours : une fabrique d’initiatives citoyennes et collectives où se réaliser et « rêver les yeux ouverts ».
Remettre en selle
« Prenez des équerres, des crayons, on trace avant de couper ! » Ils sont huit jeunes de 17 à 23 ans à écouter attentivement David Clément, animateur à La Colporteuse. Leur mission ce jour-là : réaliser des assemblages à mi-bois. Ils ont quatre semaines pour fabriquer des toilettes sèches et une douche écologique à partir de matériaux de récupération. Tous sont accompagnés par la Mission Locale. C’est la sixième année que la Maison de l’Emploi du Bocage Bressuirais travaille en partenariat avec La Colporteuse pour l’organisation des stages autour de la construction. Mais c’est la première fois sur un temps aussi long. « Ce projet leur permet de découvrir différentes techniques, la menuiserie, la soudure, un peu de plomberie, d’électricité, explique Romain Bremaud, conseiller en insertion professionnelle. Ils n’ont pas de pression de rendement. On les dégage de ce stress pour qu’ils profitent un maximum des outils qui leur sont mis à disposition. Cela va aider certains à s’orienter vers un stage en entreprise ou dans une recherche de formation. Pour d’autres, cela va confirmer un projet. » Et pour tous c’est l’occasion de remettre la main à la pâte, retrouver un rythme et des horaires fixes. Alexis, 17 ans, habitant à Moncoutant, confie avoir eu « plein de galères scolaires et professionnelles » quand il travaillait dans la mécanique automobile et la carrosserie. « Si je suis là c’est pour me remettre dans le monde du travail. » Pour Solène, Bressuiraise de 22 ans, qui a dû arrêter ses études en 2017 en raison de phobie sociale, c’est aussi l’occasion de réapprendre à être en groupe. « Ça me demande beaucoup d’effort mais je vois que je peux le faire. »
« Ils ont besoin d’un accompagnement privilégié. Mon rôle se situe entre celui de l’animateur, de l’intervenant technique et du grand frère. Je ne suis pas leur patron, on n’est pas en entreprise, mais je suis là pour leur expliquer ce qui se passerait si c’était le cas. »
David Clément
L’équipement low-tech que le groupe est en train de construire est destiné à rejoindre Le Flocon, un écolieu que La Colporteuse fait progressivement sortir de terre sur un hectare de terrain mis à disposition par La Sepaye, lieu de vie pour personnes handicapées, toujours à Argentonnay. L’idée du Flocon est née du constat qu’il manquait des hébergements pour accueillir les nombreux groupes qui viennent à La Colporteuse. « On veut créer un village qui ne fait pas mal à la terre, tout en récupération et matériaux naturels, mais aussi construit de façon collective » explique Mattieu Bernardin, coordinateur de l’association. Pour construire cet éco-lieu, un lieu de stockage des matériaux était nécessaire. Alors depuis le printemps dernier La Colporteuse loue un grand atelier à proximité, baptisé L’Atelier de la prochaine R’. Le projet mené avec les jeunes de la Mission Locale est le premier à se dérouler dans ce nouvel espace.
L’ombre lumineuse de Radulphe
Dans cette action mêlant dimensions écologique et sociale, c’est tout l’esprit de La Colporteuse qui s’exprime. L’aventure de cette association a commencé il y a 13 ans, le jour où Mattieu, Fred et Anaïs ont poussé la porte du château médiéval de Sanzay. Tous les trois travaillaient dans le secteur social et recherchaient un endroit pour donner corps à leur envie commune de « créer un lieu dans lequel on pourrait accueillir les gens à bras ouverts, pour leur permettre de rêver les yeux ouverts » se souvient Mattieu. Ils sont allés rencontrer la maire de l’époque, à Sanzay, et lui ont demandé s’il était possible d’avoir les clés du château pour réaliser leur projet. Depuis plusieurs années, plus aucune activité ne se déroulait dans ce lieu inscrit au Patrimoine Historique. « Elle a accepté de nous confier les clés pour qu’on aille voir. » Ce qu’a découvert le trio, c’est un château en ruines, couvert de ronces et qui prenait l’eau. Ils y ont surtout trouvé un vieux grimoire écrit au 13ème siècle par le seigneur et bâtisseur du lieu, Radulphe de Sanzay, qui avait imaginé il y a 700 ans ce même esprit d’ouverture, de fête et de convivialité. Une découverte incroyable qui a changé la vie des trois Deux-Sévriens… et offert une dimension magique à leur projet. Revivons avec Mattieu Bernardin le récit de cette folle journée :
« Cela fait 13 ans qu’on réécrit collectivement les pages du grimoire »
Vu l’état du château en 2007, la première aventure a été d’organiser des chantiers internationaux et des chantiers participatifs avec les bénévoles pour réhabiliter de premiers espaces où accueillir les habitants et leurs envies. La Colporteuse a notamment rejoint le réseau REMPART, association nationale pour la sauvegarde citoyenne et collective du patrimoine. La première pièce réhabilitée a aussitôt été convertie en bar associatif, où ont été organisées les premières soirées. Étape décisive pour la création d’un « lieu de vie, d’interactions et d’échanges qui peuvent être déclencheurs de projets communs » selon Mattieu Bernardin. En 2009, la jeune association signe une première convention avec la CAF et devient Espace de vie sociale. En 2019, elle est labellisée Centre socioculturel, ce qui lui permet d’amplifier son rôle d’animation du territoire. Aujourd’hui La Colporteuse compte 250 adhérents, 70% du territoire argentonnais, 20% de l’agglomération bressuiraise et 10% de toute la France : des habitants, des structures sociales (centres d’éducation renforcée, IME, centres médico-psychologiques…), des collèges, lycées, écoles, centres de loisirs, maisons de retraite… Et tous contribuent à la vie du lieu. « Soit il y a une figure imposée, une charpente à construire par exemple, soit les gens viennent et on leur dit de faire comme si c’était chez eux, on fait le tour du site et on leur demande ce qu’ils ont envie d’améliorer. » Un groupe du centre médico-psychologique de Bressuire, qui vient une demi-journée par semaine depuis cinq ans, a ainsi réalisé de A à Z une barrière en châtaignier à proximité des douves. « L’idée est bien d’accueillir tout le monde ! Et quand l’envie d’une personne ou d’un groupe de personnes est réalisable, on essaie de la mettre en place et d’en faire un projet à partager avec la population locale. » C’est comme ça qu’ont été créés des ateliers bricolage, couture, des animations nature, un jardin en permaculture, des festivals, une ludothèque, un concours de la soupe, un four à pain, et mille autres idées devenues réalité. Dont une miellerie associative et un rucher école, à l’initiative de deux apiculteurs qui ne voulaient plus extraire leur miel chacun dans son garage. On franchit la porte de la miellerie avec Mattieu Bernardin et Lolita Favreau. Elle s’occupe du pôle Biodiversités de la Colporteuse.
« On voulait un lieu ouvert aux habitants, mais un château médiéval c’est un lieu fortifié et fermé. Pour pousser la porte il faut être audacieux, parce que tu ne sais pas ce que tu vas trouver derrière. Alors on s’est dit que puisqu’on était des colporteurs, on se déplacerait sur le territoire, pour aller au devant de la population. Bar, cuisine, événementiel, bricolage, miellerie… tout ce qu’on fait au château on le fait aussi un itinérance avec des caravanes d’animation qu’on pose sur une place publique, dans une école, en festival… »
Mattieu Bernardin
Désormais La Colporteuse c’est huit salariés, et encore de nombreux projets à mener puisque l’association s’est engagée dans une dynamique tiers-lieu après avoir remporté en juin l’Appel à Manifestation d’Intérêt de la Région Nouvelle-Aquitaine. L’association réalise entre autres des travaux à l’étage pour la création d’un espace de coworking et d’une salle de conférences afin de répondre à la demande d’associations voulant rejoindre la dynamique d’un lieu partagé.
Rédaction : Hélène Bannier
Photos : Annabelle Avril, Julia Vandal, Hildegard Leloué