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Ils sauvent les poules des abattoirs

par | 15 avril 2021


Un sauvetage de 1 400 poules est prévu début mai* chez un éleveur à Châteauneuf-sur-Charente. A 18 mois, les poules pondeuses sont systématiquement conduites à l’abattoir. Alors pour offrir une seconde vie à ces gallinacés pouvant encore donner des œufs, l’entreprise nantaise Poule pour tous leur trouve des familles d’adoption. L’initiative suscite l’engouement sur un territoire grandissant. Interview de Thomas Dano, fondateur.


Pourquoi les poules pondeuses sont-elles systématiquement tuées à 18 mois ?

Qu’elles soient bio, élevées en plein air, en batterie ou au sol, toutes les poules d’élevage ont en moyenne un an de carrière professionnelle à l’intérieur d’un élevage. Ensuite elles sont abattues. Il y a plusieurs raisons à cela. La première, c’est la nécessité d’un nettoyage intensif de l’élevage, il faut faire un vide sanitaire chaque année pour éviter le développement des microbactéries. Ensuite, on observe une petite perte de productivité de la part des poules, elles vont passer sur un ratio de cinq œufs par semaine à peu près. Ce sont donc deux jours sur sept où elles ne pondent pas, mais où elles mangent quand même, ce qui crée une perte économique. Il y a des règles pour les éleveurs, ils sont dans l’obligation d’envoyer leurs poules à l’abattoir. Pourtant après 18 mois, elles ont une espérance de ponte de trois ou quatre ans supplémentaires, ce qui représente 1000 œufs en moyenne. Leur espérance de vie sera ensuite de cinq ou six ans. On estime à environ 50 millions le nombre de poules pondeuses abattues chaque année en France. C’est énorme, mais c’est ce qu’il faut apparemment pour fournir des œufs à la France entière.

Comment vous est venue l’idée de créer Poule pour tous ? Vous aviez un intérêt particulier pour cette problématique-là ?

Pas du tout dans un premier temps. Cela a démarré quand j’ai eu la joie d’avoir un renard qui a traversé mon poulailler et qui a tué mes dix poules. J’ai voulu les remplacer et j’ai fini par rencontrer un éleveur qui m’a expliqué tout le système de la réforme, de l’abattage et de la production d’œufs en France. Lui, il en avait 7 500. Je me suis dit qu’il y avait peut-être autour de moi des gens qui en cherchaient, et au lieu de 10, ce sont 1000 poules que j’ai rapportées chez moi après avoir trouvé des familles pour les adopter. C’était en 2017 et cela a marqué la création de Poule pour tous, sous forme associative dans un premier temps, jusqu’en août 2020. Nous avons alors sauvé 60 000 poules. Puis nous avons créé une entreprise, parce que les banques ne voulaient pas nous prêter d’argent en tant qu’association. Or nous en avons besoin pour nous développer, acheter des camions etc. Nous souhaiterions aussi acquérir une ferme pour en faire une maison de retraite pour les poules, et accueillir du public. Depuis que l’entreprise existe nous en avons sauvé 40 000 supplémentaires.

Qui sont les éleveurs partenaires avec lesquels vous travaillez ?

Jusqu’à présent nous avons travaillé avec une quarantaine d’élevages, qui ont en général entre 1500 et 6 000 poules, mais ça peut être plus : 9 000, 15 000, voire 20 000 ou 30 000. Ce ne sont que des poules bio ou de plein air, c’est un choix de ma part. Elles ont été habituées à aller dehors, elles ont donc un meilleur système immunitaire et une meilleure adaptabilité dans la famille qui va les adopter. Au départ nous intervenions en Loire-Atlantique, puis dans tous les pays de la Loire, et aujourd’hui les éleveurs nous appellent de la France entière. Ce que nous faisions au début c’est qu’on achetait l’élevage et on le répartissait ensuite. Maintenant nous accueillons les familles directement chez l’éleveur, ou à proximité. Cela génère moins de stress chez l’animal, mais aussi moins de transport et donc moins de frais. Ça nous permet de vendre la poule 5 euros, et pour un lot de quatre, une cinquième est offerte.

Quel intérêt y voient les éleveurs ?

L’intérêt est tout d’abord économique. Nous leur achetons les poules plus cher que ne le font les abattoirs. Il y a ensuite un point de vue moral, car contrairement à ce qu’on pourrait penser l’éleveur s’est attaché à ses poules, et quand il les envoie à l’abattoir c’est comme s’il enterrait toute sa famille. Ça ne lui fait pas du tout plaisir. Avec nous, il sait qu’elles seront remises à des familles et qu’elles seront entre de bonnes mains.

Comment procédez-vous ? Vous achetez un élevage entier ou est-ce que vous vous adaptez au nombre de réservations préalables sur votre site web ?

Quand on travaille avec un gros élevage, 5 000 ou 6 000 poules, on sait qu’on ne réussira pas à toutes les faire adopter. Dans ce cas, on fait une estimation du nombre qu’on va réussir à placer, en prenant en compte la question des quotas. En effet, un abattoir va accepter de se déplacer en fonction d’un certain nombre de poules. S’il dit qu’il en faut un minimum de 3000 et que l’éleveur en a 4500, soit on prend l’engagement de placer les 4 500, soit on prend l’engagement sur 1 500, pour ne pas mettre l’éleveur en défaut vis-à-vis de l’abattoir. L’objectif c’est de faire au mieux, pour tout le monde.

A Châteauneuf-sur-Charente, les 1400 poules ont déjà toutes été réservées ! C’est le cas à chaque fois ?

Ce sont à peu près 350 familles qui vont venir chercher leurs poules début mai à Châteauneuf ! Cela fait trois ans que je travaille avec cet élevage. La première année, Pierre, l’éleveur, m’a dit que j’étais complètement fou ! Il trouvait l’idée géniale mais ne pensait pas qu’on y arriverait. On a lancé la première opération et elle a marché immédiatement. Et depuis, l’élevage est quasiment tout le temps adopté. Si on prend l’exemple d’un autre élevage partenaire, à Saint-Mathieu entre Angoulême et Limoges, l’an dernier on a réussi à sauver 2 500 poules sur 6 000. Cette année on aimerait faire adopter la totalité, l’opération aura lieu le 9 mai. Mais on n’a pas encore réussi à toutes les placer.

Vous parlez d’adoption et non d’achat, de famille et non de client. Pourquoi ?

Les familles qui viennent chez nous n’achètent pas un produit, elles sauvent une vie et sont vraiment investies. Elles savent qu’elles vont avoir un animal plusieurs années, ce n’est pas comme un achat qu’on va jeter quand il n’intéresse pas ou quand il est obsolète. Il y a une forme d’engagement dans cette démarche.


* Toutes les poules de l’élevage de Châteauneuf-sur-Charente ont déjà été adoptées.
Poule pour tous nous a demandé s’il était possible de ne pas donner la date précise de l’opération, début mai, pour éviter que des personnes qui n’auraient pas réservé ne se déplacent chez l’éleveur le jour du sauvetage. Ceci compliquerait la distribution, d’autant plus avec les normes sanitaires liées au covid. Nous avons accepté d’accéder à sa requête.


Propos recueillis par Hélène Bannier
Photo haut de page : Claire Marquis

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