A Angoulême depuis l’hiver dernier, les médiateur·ices d’Omega ont une nouvelle collègue. Une ponette qui s’appelle Syoux et qui les accompagne avec douceur dans leurs maraudes nocturnes auprès des SDF et des personnes marginalisées. Reportage.
Une soupe chaude, un café brûlant. Et des carottes. C’est ce que l’on s’échange depuis février 2024 lors des maraudes nocturnes d’Oméga, l’association de médiation sociale de Grand Angoulême en Charente. Depuis que Syoux, une ponette de 18 ans, épaule les médiateur·ices dans leur mission : créer du lien avec les personnes sans abri ou marginalisées, leur apporter écoute, couvertures et solution de mise à l’abri si possible.
L’équidé ne passe pas inaperçu dans les rues d’Angoulême aux côtés des maraudeur·euses. En cette soirée frisquette, le claquement de ses sabots résonne drôlement sur les pavés de l’artère piétonne presque déserte, sous la lumière des réverbères. Syoux est au boulot – très attendue par celles et ceux qui connaissent ce rendez-vous. Jean s’approche, sort de l’un de ses gros sacs un sachet de mini-carottes. « Je les ai trouvées en fouillant dans les poubelles du Carrefour City », grommelle le quinqua un peu bourru. Syoux ne demande pas son reste, croque le cadeau glâné pour elle. Cynthia, 52 ans, attrape la ponette par la longe et ne la lâche plus : « On se promène, on va devant les vitrines des magasins, on se dit des choses et on revient. Ça me fait du bien, j’adore », promet-elle. Syoux est patiente, récipiendaire silencieuse de secrets et de problèmes. « C’est une médiatrice à part entière, elle ne refuse jamais d’aller au travail, elle sait s’adapter à chaque public », assure Marie Pési, monitrice d’équitation et propriétaire de Syoux. La cavalière ne cesse de dire son admiration pour son animal : « Moi, je me forme à la médiation, mais elle, je ne l’ai jamais éduquée pour cela et pourtant, elle est surprenante, c’est une vraie éponge à émotions. » Au risque du trop-plein que, comme les humains, il lui faut évacuer après chaque maraude : « quand on rentre elle transpire, elle baille beaucoup aussi. »
Un espace public apaisé
« Dans la rue, les gens n’hésitent pas à s’approcher de Syoux, les familles avec enfants comme les personnes marginales. On la brosse, on la câline… et on discute. Sa présence apporte beaucoup de douceur et permet d’apaiser l’espace public », dépeint Lucie Calou, médiatrice professionnelle à Oméga et initiatrice de cette maraude équine avec Marie Pési. Cynthia revient de sa petite balade avec Syoux, se met à discuter avec Emmeline Ribeiro, l’infirmière de la maraude, qui lui tend une soupe chaude, en profite pour voir si tout va bien. Cynthia partage un souvenir que la ponette a fait renaître : « quand j’étais petite, ma famille d’accueil m’a inscrite à des cours d’équitation. J’avais eu 17 sur 20 à la fin de l’année. Ça, c’est resté gravé là », dit-elle en montrant son cœur. Il y a aussi beaucoup de tendresse dans la voix de Moïse, casquette, barbe hirsute et fauteuil roulant, quand il décrit son émotion à passer quelques minutes seul avec la ponette, sa grosse tête sur son épaule. « Mes parents avaient des chevaux, une petite carriole… C’est plein de souvenirs, je suis très ému. » Comme Moïse, ce soir-là, ils et elles sont une dizaine à attendre la maraude et sa médiatrice à gros sabots sur la place du marché de Saint-Cybard, un autre quartier d’Angoulême. Un nombre de personnes jamais aussi élevé quand Syoux n’y est pas :
« La présence de la ponette nous permet de doubler le nombre de personnes rencontrées en une soirée. La place de l’animal dans l’espace public, on voit ce que cela peut apporter en termes de lien de confiance et d’apaisement. On a vu des personnes à la rue, complètement mutiques, échanger avec nous depuis qu’il y a la ponette, ce n’est pas anodin. » Cédric Jégou, directeur d’Oméga
Réinsertion sociale à l’écurie
Pour ce fin observateur des difficultés sociales, il faut expérimenter, toujours, et ancrer dans le temps les actions qui fonctionnent. « On sent que l’on a, dans le social, de moins en moins de marges de progression. Un chiffre pour comprendre ce à quoi nous faisons face actuellement : sur 380 personnes sans abri ou marginales rencontrées lors des maraudes cette année, 124 avaient moins de 25 ans », détaille-t-il. Alors, pour son l’association, le défi est de remobiliser ces jeunes pour leur permettre de se réinsérer. Et là encore, Syoux et ses congénères peuvent jouer un rôle : « On voudrait, avec Marie Pési, amener des personnes à l’écurie, proposer des séances de réinsertion professionnelle et sociale, fixer des objectifs autour du soin à apporter aux chevaux », projette Lucie Calou. Cathy, 54 ans, à la rue depuis 2 ans, est déjà volontaire pour l’expérimentation aux écuries. Mais en attendant que cela soit mis en place, il lui faut trouver où dormir ce soir-là. « On m’a piqué ma place près de la médiathèque, alors je vais voir sous le porche de l’église », soupire-t-elle en lustrant la robe de Syoux. Avant de lancer aux médiateur·ices, regard pétillant et voix éraillée : « Elle est toute douce et chaude, Syoux ! Vous me la prêtez pour la nuit ? ». Encore une vocation inattendue et bienfaisante pour la ponette médiatrice.
Rédaction : Myriam Hassoun
Photos : Noémie Pinganaud