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“L’ESS est un lieu de résistance absolue à l’extrême droite et aux valeurs qu’elle porte”

par | 8 février 2024

Forum ESS 2024 - Plénière Loi ESS

C’était un des rendez-vous majeurs du Forum national de l’ESS et de l’innovation sociale qui s’est tenu à Niort la semaine dernière. Une séance plénière sur les dix ans de la loi ESS de 2014 a réuni, devant une salle comble, les représentant·es des grandes familles de l’économie sociale et solidaire ainsi que Benoît Hamon, initiateur de la loi et aujourd’hui dirigeant de l’ONG Singa. Au final, il a moins été question de regarder dans le rétro les dix années écoulées que de se projeter dans le combat politique à venir face aux défis démocratiques, sociaux et environnementaux. Avec, entre autres, l’échéance électorale de 2027 à l’horizon.


Nous sommes mieux armés qu’il y a dix ans, et heureusement car les dix dernières années n’ont pas été super drôles. Mais je pense que cela n’est rien par rapport à ce qui nous attend ces dix prochaines années, sur les plans écologique, social, démocratique. Cette loi nous a préparés, j’espère, à essayer d’obtenir des issues positives et favorables.” Voilà comment Claire Thoury, présidente du Mouvement associatif, analysait, à l’occasion de la plénière du Forum national de l’ESS consacrée aux 10 ans de la loi ESS, les apports de ce texte législatif adopté en 2014 pour doter les acteurs de l’économie sociale et solidaire d’outils de structuration, de développement et de changement d’échelle.
Cette loi avait été pensée à l’époque pour répondre aux conséquences de la crise financière de 2008. Elle émanait de ce constat que l’économie sociale et solidaire résistait mieux que l’économie capitaliste aux convulsions du marché, car elle était moins exposée aux effets négatifs des bulles spéculatives. “Nous voulions qu’il y ait plus d’entreprises de l’ESS mais aussi que l’ESS pollinise l’économie classique”, rappelle Benoît Hamon, initiateur de la loi, alors ministre délégué chargé de l’Économie sociale et solidaire.

Pour les dix ans à venir, fixer des objectifs politiques

En définissant juridiquement ce qu’est l’ESS, la loi a apporté une reconnaissance, une visibilité et une lisibilité, “et elle nous a permis de démontrer assurément notre utilité”, souligne Jérôme Saddier, président d’ESS France, tout en précisant qu’il n’y a pas eu pour autant d’ “explosion” du nombre de structures de l’ESS ces dernières années. “Car une loi c’est une chose, mais s’il n’y a pas de politique publique derrière, digne de ce nom, et qui soit durable, nous n’arriverons pas à progresser.”

Alors oui, la loi 2014 a fait avancer les idées, les comportements, mais elle n’est pas suffisante selon les grandes familles de l’ESS, associations, mutuelles, fondations, coopératives. Ou plutôt la famille de l’ESS, puisque c’est aussi ce qu’a permis cette loi, réunir les mouvements et faire qu’ils se parlent et co-construisent. Elle en appelle aujourd’hui à une loi de programmation pour que soient fixés des objectifs politiques et que soient alloués des moyens financiers durables pour les atteindre.

Travailler à une loi de programmation, c’est fixer une trajectoire. Mais qu’est-ce qu’on met dedans ? Un sujet fait aussitôt consensus : la nécessité de sortir du système capitaliste “les activités dont on pense qu’elles ne peuvent être bien assurées que par un service public ou une organisation non lucrative. On voit bien par exemple qu’en matière de prise en charge des personnes âgées, de la fin de vie, il est mieux de sortir l’argent de cette affaire-là”, insiste Benoît Hamon, avec en sous-texte le scandale Orpea.

Pour Eric Chenut, président de la Fédération nationale de la Mutualité française, l’enjeu aujourd’hui est aussi bel et bien politique. Et s’il est un point sur lequel l’ESS peut et doit agir, c’est celui de la restauration de la “citoyenneté sociale” et la sortie d’une logique de consumérisme de l’action publique qui s’est installée au fil des décennies. Le secteur de la santé en est un exemple.

Autre question soulevée à plusieurs reprises quant aux combats à mener et à intégrer à cette trajectoire politique, celle de la gouvernance des données personnelles et de la place de l’ESS pour offrir un autre modèle que celui de leur marchandisation. Le sujet a notamment été abordé par Jérôme Saddier, convaincu “qu’on ne peut se résoudre au fait que nos données ne soient demain la propriété d’oligarques américains, russes, chinois ou même français.” Autre enjeu politique majeur pour le président d’ESS France, celui de l’aménagement du territoire.

Avant 2034, l’horizon 2027 : “préparer le temps des tempêtes”

Construire les années à venir, oui. Mais avant 2034 il y a l’échéance présidentielle de 2027 et l’hypothèse sérieuse d’une élection remportée par l’extrême droite. Un sujet que Benoît Hamon a tenu à placer au centre de la table, se positionnant moins comment ancien ministre délégué chargé de l’Économie sociale et solidaire que comme dirigeant d’une ONG, Singa, dédiée à l’inclusion en Europe des personnes réfugiées, et qui “mesure aujourd’hui le vertige des associations devant composer avec un texte immigration qui a inscrit la préférence nationale dans une loi de la République. Si l’extrême droite l’emporte en 2027, c’est parce que nous vivons déjà dans une forme d’ “extrême droite d’atmosphère”. Alors comment anticiper cela et éviter ce qui serait une catastrophe pour la nation ? Et si jamais cette catastrophe arrivait, comment préparer le temps des tempêtes ? ” En tant qu’espace de démocratie et de délibération collective perméable aux idées du Rassemblement National, quand d’autres s’en accommodent, l’ESS peut, pour Benoît Hamon, incarner une force de proposition et de résistance :

Alors comment donner corps aujourd’hui à cette résistance ? En parlant un langage commun ; et faisant entendre cet autre récit ; en véhiculant d’autres imaginaires ; en ne lâchant rien et en disant d’une seule voix que “non, tout ne se vaut pas : non, éco et terrorisme ne vont pas ensemble. Non, la désobéissance civile n’est pas une forme de séparatisme. Non, on ne peut pas interroger la subvention d’une association parce qu’elle a pris des positions qui sont dérangeantes sur le plan politique. Et c’est là qu’il va falloir être extrêmement solidaires, parce que si moi je dis ça toute seule, ça a moins de portée que si on le dit tous ensemble”, assure Claire Thoury . Et enfin, en ne perdant pas de vue qu’une grande partie de la société, et notamment la jeunesse, aspire aux valeurs de ce modèle qui, pour reprendre le titre de cette édition 2024 du Forum national de l’ESS, veut “prendre soin des personnes, des territoires et du vivant”.


Rédaction : Hélène Bannier
Photos : Annabelle Avril

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