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Passeurs d’outils

par | 9 février 2022


Transmission de savoir-faire, revalorisation des métiers manuels, création de liens intergénérationnels : trois valeurs au cœur de l’Outil en Main. Dans ses antennes locales, l’association propose aux jeunes de 9 à 14 ans de venir s’initier à différents métiers en étant accompagné.es par des artisan.es retraité.es, sur des cycles de deux ans. Reportage à l’Outil en main de Parthenay, dans les Deux-Sèvres.


Redonner de la valeur aux métiers manuels

Samedi matin, 9h15, le hangar de l’ancien CFA de Parthenay fourmille déjà. Tout le monde est à son poste et ça scie, ça découpe, ça martèle, ça soude…. Comme toutes les semaines, l’Outil en Main de Parthenay-Gâtine accueille 27 enfants et une quarantaine de gens de métiers, essentiellement des retraité.es venu.es transmettre leurs savoir-faire. « Nous ne sommes pas là pour apprendre aux jeunes un métier, mais pour les initier, souligne André Niort, président de l’association. Et notre satisfaction, c’est quand un déclic se passe. » L’Outil en Main de Parthenay fait partie d’un réseau national de 227 associations, dont six dans les Deux-Sèvres, deux en Charente-Maritime, une dans la Vienne. Ici, 14 métiers sont représentés : mécanique, plomberie, carrelage, maçonnerie, électricité, maquette, couture, marqueterie, menuiserie, photo-vidéo, dessin industriel, boulangerie, cuisine, cordonnerie. Tous les jeunes découvrent chaque métier sans exception, pendant cinq samedis consécutifs, sur un cycle de deux ans.

A l’Outil en Main de Parthenay, 14 métiers sont représentés

La transmission par le lien intergénérationnel

Ce matin-là, Jules et Bastien retrouvent Jean-Michel à l’atelier menuiserie pour terminer le piétement des tabourets qu’ils sont en train de fabriquer. Ils en réaliseront l’assise quand ils rejoindront l’atelier ébénisterie. Jean-Michel Jouneau, 78 ans, ancien menuisier-charpentier, les aide à utiliser maillet et ciseau à bois, et apprécie : « Ça se passe bien avec tous ces jeunes, ils nous apportent de l’amitié, de la convivialité, et c’est agréable de voir qu’ils s’intéressent aux métiers du patrimoine. » Même satisfaction pour Jean-Marie Parnaudeau, maçon, qui a appris à Louise, 12 ans, à manier la truelle et le fil à plomb pour monter des murs en parpaing :

Quand je suis arrivé à la retraite, je me suis dit que j’allais laisser ma caisse à outils tranquille et que je n’allais plus toucher à un outil de maçon… Et puis voilà, j’ai recommencé ! J’avais envie de m’investir pour m’occuper des jeunes.

A quelques mètres, Christine enseigne les bases de la couture à Johan : coudre un bouton, coudre à la main, faire les points de base, et bien sûr utiliser la machine à coudre, car c’est ce que les enfants préfèrent. « Je pense que toutes les générations devraient transmettre aux jeunes leurs savoir-faire. D’abord c’est toujours utile de découvrir des métiers. Et plus on a de connaissances, mieux c’est dans la vie. » A 63 ans, elle a travaillé en confection dans la lingerie pendant 20 ans à Saint-Loup-sur-Thouet et dans le prêt-à-porter haut-de-gamme à Bressuire. Très pédagogue, elle explique à Johan : « Là, tu vas suivre ton tissu au bord du pied de biche, tu t’arrêteras à un centimètre, tu plantes ton aiguille, tu soulèves le pied, tu pivotes et tu repars, ok ? Ne retiens pas ton tissu, tu le guides, tu vas doucement ! Ne regarde pas ton aiguille, regarde ton bord ! »

Un intérêt grandissant de la part des familles

A sa création en septembre 2006, l’association a ouvert son atelier avec six gens de métier et six enfants. Le démarrage n’a pas été facile entre la recherche d’un local et le recrutement d’artisan.es prêt.es à s’investir. La ville de Parthenay a soutenu l’initiative en mettant à disposition les anciens locaux du CFA. Cet ancien atelier de menuiserie offre 600m² que l’association a entièrement équipés. Pour les activités qui demandent du matériel spécifique (cordonnerie, cuisine et boulangerie), les enfants sont accueillis directement chez des professionnel.les encore en exercice. En 15 ans, l’association a bien grossi. Et depuis cinq ans, les filles rejoignent l’atelier. Cette année, elles sont 6 sur les 27 inscrit.es. Inès a 14 ans, et vient d’Azay-sur-Thouet.

C’est moi qui ai choisi de m’inscrire. C’est ma deuxième année et j’ai déjà suivi les ateliers couture, électricité, marqueterie, menuiserie, cordonnerie et carrelage. L’électricité, je ne m’attendais pas du tout à ce que ça me plaise comme ça. La couture aussi j’ai bien aimé, j’avais déjà commencé avec ma mamie. Maintenant j’en fais plein chez moi et à Noël j’ai eu une machine. La semaine prochaine, je vais être en mécanique, j’ai hâte ! Je suis plus manuelle qu’intellectuelle, j’ai un peu du mal à l’école, du coup je me dis que je pourrais peut-être faire un de ces métiers.

Du côté des parents, on plébiscite aussi l’Outil en main. Ce n’est pas une activité comme les autres et ils voient un réel intérêt à initier leurs enfants aux métiers manuels tout en encourageant la transmission de savoir-faire des anciens vers les jeunes. Pour certains, il s’agit aussi de « les faire décrocher des écrans . » Mais plus il y a de jeunes inscrit.es, plus il faut de gens de métier pour les initier. Et c’est là que le bât blesse ; l’association peine à recruter. « Vous pouvez nous faire de la pub pour trouver des personnes de métier ? » plaisante Marc Lamarche, ancien président de l’association et toujours membre actif. Pour lui « c’est un peu le talon d’Achille, on a beaucoup de mal à recruter. Sans cesse, sans cesse, il faut en reparler. » Car c’est bel et bien par le bouche à oreille, entre ancien.nes collègues de travail, que les artisan.es viennent renforcer l’équipe.

Aider des jeunes à trouver leur voie

« Les garçons se débrouillent très bien, de futurs grands couturiers, peut-être hein ? » sourit Christine en observant Johan à la machine à coudre. Marc Lamarche, quand il était président, accordait beaucoup d’importance au devenir des adolescent.es venu.es dans les ateliers. « Tous les ans au mois de juin, je décrochais mon téléphone et j’appelais les familles dont les enfants étaient passés par ici deux ans ou trois ans auparavant, pour savoir ce qu’ils étaient devenus. On ne tient pas à former des gens de métier mais certains enfants découvrent leur voie et ils poursuivent en apprentissage. Ça leur ouvre les yeux, ça leur ouvre des portes. Un jour une maman me donnait des nouvelles de son gamin, et elle me dit : au moins il a appris à bricoler, à tel point que maintenant quand quelque chose ne va pas dans la maison, ce n’est pas le papa que j’appelle, c’est mon fils. Il se débrouille très bien et lui au moins il ne rouspète pas ! »

11h30, le travail terminé et les enfants partis, les gens de métier s’accordent un temps ensemble autour d’un verre, avant de rentrer dans les foyers. Elle est aussi là, la convivialité.


Rédaction : Laure Boniakowski
Photos : Bastien Guinard

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