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Avec Ocean Peak, prendre le large pour un nouveau départ

par | 14 janvier 2025


Ils et elles ne connaissent personne à bord et doivent laisser leur portable à terre. Pendant 14 jours, des jeunes en difficulté partent sur le voilier de l’association rochelaise Ocean Peak pour des séjours de rupture. Reportage à l’occasion d’un retour au port.


L’heure est au rangement sur ce ponton du port des Minimes, à La Rochelle. Sortir les affaires, évacuer les poubelles, nettoyer le pont… Matthieu, Noa, Luc et Camélia s’affairent autour du bateau, à la fois efficaces et excités. Les quatre adolescent·es rentrent tout juste d’un séjour de rupture de 14 jours à bord d’un voilier, organisé par l’association Ocean Peak. Fondée en 2018 à La Rochelle, elle utilise la mer et la montagne pour socialiser et réinsérer des jeunes en difficulté, tout en les sensibilisant à la protection de la nature. Chaque année, elle propose quatre séjours de rupture en mer à des jeunes confié·es à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ou accompagné·es par les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).
« Leur point commun est d’avoir des parcours de vie compliqués. Généralement, ils sont déscolarisés. Notre objectif est de leur offrir un pas de côté dans leur quotidien, dans un tout autre univers. Le voilier est un support éducatif pour rencontrer les jeunes, cela peut les remobiliser. Le but n’est pas de leur apprendre toutes les notions techniques mais de les faire participer, leur donner une occupation, un rythme. Être à la barre d’un voilier, c’est valorisant. Souvent, ils sont hyper fiers, ça renforce la confiance en soi », assure Louise Doucet, éducatrice spécialisée et monitrice de voile. Capitaine du « Milos » sur cette navigation, elle était accompagnée par trois autres éducateurs spécialisés. Le séjour de rupture n’est pas contraint, il implique une adhésion du jeune et des échanges préalables avec les référent·es ASE permettent de savoir s’il est pertinent ou non.

L’objectif de ces séjours est d’impulser une dynamique nouvelle dans un milieu qui ne leur est pas familier

« La plupart ont peur de partir »

Ils étaient donc huit à bord. Comme toujours, les quatre jeunes ne se connaissaient pas. Matthieu habite à Royan, Noa vit à Saint-Étienne, Camélia à Toulouse et Luc à Poitiers. Chacun·e a dû laisser son téléphone à terre, c’est l’une des règles de ces séjours. Qui, forcément, peut rebuter. « J’étais clairement pas chaud de venir, je ne savais pas comment ça allait se passer, sur un bateau, sans connaître personne. Au début, ça m’a saoulé de ne pas avoir mon téléphone mais après j’étais occupé, le temps est vite passé », souligne Luc, 16 ans. « J’ai dit ‘‘oui’’ à contrecœur, j’avais peur de comment ça allait se passer avec les autres. Je pensais que ça allait être pire mais en fait, ça a été ! », soutient Camélia, 15 ans. Même son de cloche chez Noa, 15 ans : « Je ne voulais pas quitter là où je suis. De base, je suis tout le temps sur mon téléphone. Mais ça ne m’a pas manqué tant que ça. »

« Comme tout le monde, je n’ai pas spécialement demandé à être là. J’ai une grosse addiction aux jeux vidéo, c’était long 14 jours sans téléphone »
Matthieu, 17 ans

Changer du quotidien

L’équipage a largué les amarres à La Rochelle, cap sur l’île d’Oléron pour une première nuit à bord. Avec un amarinage plus ou moins évident. « J’ai eu le mal de mer et je ne me sentais pas bien avec les autres. Je me suis mise à l’écart dans ma cabine, j’ai pleuré. Mais ils sont venus me réconforter, au final c’était un bon souvenir », confie Camélia. « Milos » a vogué ensuite vers l’île d’Yeu, puis Belle-Île-en-Mer. Avec au programme, une journée de marche. 12 kilomètres à pied.

« C’était dur ! Mais c’était bien. On a fait plein de trucs différents. Ça fait du bien, ça change. Chez moi, on est sur les téléphones, dans les voitures, on écoute de la musique, ça boit, ça fume… C’est tout le temps pareil »
Noa, 15 ans

Puis la dépression Kirk a bousculé le programme de navigation initial. Le coup de vent annoncé oblige les huit marins à se mettre à l’abri au port de La Roche-Bernard, dans les eaux de la Vilaine. Une chasse au trésor occupe les troupes, avant un retour sur l’île d’Yeu. « On s’est baignés, c’était cool ! J’ai bien kiffé, on a découvert beaucoup d’endroits. J’ai appris plein de nouveaux mots, comme bâbord, tribord… », sourit Luc. Camélia, elle, a apprécié d’être impliquée dans la conduite du bateau : « Il y a eu une fois où j’ai barré de 21 h à 23 h et j’ai été la seule à voir le drapeau d’un casier à huîtres au dernier moment. J’ai réussi à l’éviter, personne ne l’avait vu ! »

Les conditions de navigation ne sont pas toujours évidentes pour ces adolescent·es qui n’ont parfois jamais mis les pieds sur un bateau.

« Donner une autre image d’eux »

« Être à la barre en pleine nuit, parfois avec beaucoup de gîte (quand le voilier penche, NDLR) c’est quand même impressionnant. Surtout que nous n’avons pas eu des conditions météo évidentes. Ça leur fait de belles histoires à raconter et surtout, ça donne une autre image d’eux », estime l’éducatrice. Puis il a fallu refermer cette parenthèse, revenir au port d’attache rochelais. Une étape difficile à appréhender.

« La dernière soirée, il y avait beaucoup d’émotions. C’était un séjour intense et riche, le retour est toujours complexe. Pour les jeunes, c’est souvent synonyme d’insécurité, d’incertitudes. Certains ne savent même pas où ils vont aller. Or c’est important qu’ils aient un projet en rentrant. »
Louise Doucet, éducatrice spécialisée et monitrice de voile

A leur arrivée, les quatre jeunes ont le sourire. Leur bilan à chaud est enthousiasmant, malgré le regret d’avoir « mangé trop de repas végétariens ». Seul Matthieu semble déçu. S’il concède avoir « vu de beaux paysages », le jeune homme ne « veut plus jamais refaire ça » de sa vie. Ocean Peak va rester en lien avec eux. « Un mois après le séjour, nous recontactons le jeune et son éducateur pour faire un point. Nous transmettons tout ce qui s’est passé pendant les 14 jours. Chez certains, cela peut être un déclic pour s’orienter vers les métiers du nautisme. Nous les accompagnons alors pour trouver un stage ou une formation », décrit Louise Doucet. Luc, qui souhaitait s’orienter vers la mécanique moto, souhaite désormais bifurquer vers la mécanique bateau.


Rédaction : Amélia Blanchot
Photos : Amélia Blanchot, Ocean Peak

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