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« Est-ce une menace pour la santé de ma fille ? »

par | 15 octobre 2024


Les résultats de l’étude NEEXT (Nos Enfants Exposés aux Toxiques) ont été révélés le 12 octobre. A l’initiative de l’association Avenir santé environnement, les cheveux et les urines de 72 enfants de l’agglomération rochelaise avaient été testés pour rechercher d’éventuels polluants. 59 molécules ont été découvertes. Les parents sont inquiets et en colère


Dans sa rue, « plus personne ne boit l’eau du robinet ». Nicolas (*) habite une petite commune rurale proche de La Rochelle. Sa famille et lui vivent en bordure de champ. A chaque épandage, c’est le même rituel. « On ferme les fenêtres, les volets, on rentre le linge. Nos voisins font la même chose. On fait attention, mais je m’attendais à ce que des molécules soient découvertes », confie le quadragénaire. Les urines et les cheveux de sa fille de 12 ans ont été testés en avril dernier dans le cadre du projet NEEXT (Nos Enfants Exposés aux Toxiques), comme 71 autres enfants volontaires de 3 à 17 ans. Tous grandissent dans l’une des six communes de l’agglomération rochelaise sélectionnées pour cette étude : Périgny, Saint-Rogatien, Clavette, Bourgneuf, Dompierre-sur-Mer et Montroy.
Dans cette plaine céréalière d’Aunis, les grandes cultures sont légion, le modèle agricole largement intensif. L’exposition aux pesticides y est reconnue. A Montroy, en 2021, le capteur de qualité de l’air a relevé le record de France des taux de prosulfocarbe, un herbicide. En 2023, des points de captage d’eau potable ont été fermés dans cette même zone en raison d’une pollution au chlorothalonil, un fongicide interdit. Sur ce territoire également, les cas de cancers pédiatriques se multiplient, au point que le CHU de Poitiers a formulé une alerte en 2018. Dix ont été recensés entre 2008 et 2020 à Saint-Rogatien et à Périgny. Selon la Ligue contre le cancer en Charente-Maritime, le nombre de cas est plus de quatre fois supérieur à la moyenne attendue pour la seule commune de Saint-Rogatien.

Environ 300 personnes, dont les familles des enfants testés, ont assisté à la soirée de restitution des résultats

Un projet citoyen de recherche

Pour comprendre si leur environnement pouvait être délétère et interpeller les pouvoirs publics, familles et habitant·es ont fondé l’association Avenir santé environnement en 2018. C’est elle qui est à l’origine de l’étude NEEXT, dont les résultats ont été révélés samedi 12 octobre à l’occasion d’une soirée de restitution au cinéma Méga CGR de La Rochelle. Les objectifs étant de déterminer les proportions de certains polluants, d’observer les différences en fonction des territoires, d’informer la population et orienter d’éventuelles actions auprès des autorités compétentes. « C’est un projet citoyen de recherche. Nous ne sommes ni scientifiques ni médecins », assure Franck Rinchet-Girollet, le président. L’association a entièrement financé cette étude, pour un montant de 30000 euros.
Les prélèvements, réalisés juste après les épandages, ont été pris en charge par un laboratoire public français, épaulé par Bio 17 pour la gestion des échantillons et des résultats. Face à environ 300 personnes, Laurence Huc, toxicologue notamment à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) est venue décrypter cette masse de données. 408 molécules étaient recherchées dans les urines des enfants (les traces sont détectables seulement quelques jours), 14 ont été retrouvées, soit de 0 à 5 substances par enfant. 353 l’étaient dans les cheveux (la mémoire d’exposition s’élève à plusieurs mois), 45 ont été découvertes, de 1 à 10 substances par enfant. A cet instant T, aucun des 72 participant·es n’est vierge de molécules.

La toxicologue Laurence Huc est venue décrypter les résultats de l’étude NEEXT

Indignation et inquiétude

Parmi les pesticides retrouvés, certains sont d’origine domestique. A l’image du DEET, produit chimique utilisé comme répulsif contre les insectes, qui arrive en tête des analyses de cheveux avec 86 % d’enfants au-dessus de la limite de détection. « Les anti-moustiques, les anti-puces ou encore les détergents sont à éviter et doivent être vus comme des poisons violents. Plus les enfants sont jeunes, moins ils les éliminent », met en garde la toxicologue, insistant au passage sur la nécessaire aération des logements. D’autres produits rémanents utilisés dans le traitement du bois sont apparus, comme le fongicide PCP (pentachlorophénol, reconnu comme cancérigène), qui se hisse sur les podiums des deux classements (urines et cheveux). Et sans surprise, de nombreuses molécules sont d’origine agricole. « Le propamocarb (un fongicide, NDLR) touche particulièrement les enfants de Clavette », explique Laurence Huc.
Mais ce qui a scandalisé l’assemblée, c’est la présence de substances interdites dans les résultats, à commencer par le PCP. Des néonicotinoïdes ont également été décelés, comme l’acétamipride. « Il y a des corrélations statistiques avec la proximité des cultures. Plus les enfants vivent près des champs, plus les taux sont forts. Ce qui nous fait penser que des néonicotinoïdes sont encore utilisés par des agriculteurs dans le secteur malgré leur interdiction », suppose la spécialiste. Avant de lister les dangers que ces pesticides représentent : perturbateur endocrinien, cancérigène, neurotoxique, reprotoxique, effet cocktail… De quoi susciter indignation et inquiétude chez les parents.

Je suis en colère. Un taux important d’une molécule interdite, réputée pour ne pas être rémanente, a été détecté dans les urines de ma fille. Elle a donc eu une exposition aiguë juste avant les prélèvements. Comment a-t-elle pu croiser cette molécule neurotoxique ? Est-ce une menace pour sa santé ?

Nicolas, père de famille

Samedi 12 octobre, l’association Avenir santé environnement a organisé une manifestation à La Rochelle « pour une véritable transition agricole et un plan de sortie des pesticides de synthèse. »

« On va demander des comptes »

Cas de figure similaire pour la fille d’Isabelle (*), habitante de Dompierre-sur-Mer. « Dans ses cheveux, il a été trouvé une molécule interdite en agriculture. Ça pose plein de questions. Les pesticides d’origine domestique, ça peut se contrôler. Mais la pollution agricole, qu’est-ce qu’on peut faire ? C’est l’air qu’on respire, on n’a pas le choix ! Je suis très en colère, j’ai le sentiment que l’État ne prête pas attention à ces problèmes », regrette cette mère de famille. « C’est fou que cette étude soit à l’initiative d’une association et non des autorités sanitaires qui sont censées nous apporter des réponses », abonde Damien (*), père d’un garçon testé.

Il y a une attente forte et les pouvoirs publics ne mettent pas en œuvre les outils de contrôle nécessaires. Les suites seront intéressantes, seront-elles juridiques ? Faut-il porter plainte contre X ? Pour inaction ? Enclencher une action collective ? Je m’interroge

Damien, habitant de Bourgneuf.

Interpeller les décideurs, c’est l’une des raisons d’être d’Avenir santé environnement qui a organisé NEEXT en ce sens, tout comme la deuxième édition de l’Appel de La Rochelle, une manifestation qui s’est déroulée avant la soirée de restitution, dans l’après-midi. A l’issue de ces résultats, Franck Rinchet-Girollet l’assure : « On va demander des comptes, une enquête des pouvoirs publics ». Les membres de l’association ont détaillé leurs nouveaux objectifs : « un plan de sortie des pesticides de synthèse avant 2030, l’application immédiate et systématique du principe de précaution tant que l’innocuité du produit n’a pas été prouvée, la prise en compte de l’effet cocktail dans la recherche d’impact, l’interdiction immédiate des pesticides sur les aires d’alimentation de captages d’eau potable et la mise en place d’un registre territorialisé des cancers sur l’ensemble de la France. » Actuellement, il concerne seulement 22 % du territoire.


Rédaction et photos : Amélia Blanchot

(*) Les prénoms ont été modifiés

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