Femmes en agriculture : changer le regard des hommes

par | 22 avril 2025


Dans le monde agricole, un tiers des responsables d’exploitation et des salarié·es sont des femmes. Elles jouent un rôle central et sont pourtant toujours victimes d’inégalités et discriminations. Au lycée agricole des Sicaudières de Bressuire (79), on se mobilise pour changer le regard et sensibiliser la nouvelle génération.


Les adolescent·es se succèdent par groupes de trois ou quatre pour présenter des scénettes dans lesquelles ils et elles incarnent tour à tour des agricultrices retraitées, en activité, ou encore en formation. Sous forme ludique, ils font passer les messages qui les ont marqué·es au cours de leur semaine d’immersion dans les problématiques féministes en agriculture. Nous sommes au lycée des Sicaudières à Bressuire, où la professeure d’éducation socioculturelle Cathy Perroquin s’est mobilisée pour monter cette action : « Ils ont étudié des documents, écouté des podcasts, rencontré un chercheur, une journaliste et échangé avec des agricultrices du territoire.» De quoi poser un nouveau regard sur le monde professionnel et les inégalités de genre qui les entourent.

Sensibiliser les agriculteurs de demain

À commencer par l’inégale répartition du travail entre les sexes. « Je n’avais pas conscience de ces différences, car sur la ferme de mes parents, ils font de tout, tous les deux », explique Hugo. Mais l’étude du chercheur que les élèves ont rencontré, James Hogge, chargé de mission « femme en élevage » à l’Institut de l’élevage, est claire : aux hommes les tracteurs, outils, travaux des champs et présence dans les instances syndicales et professionnelles… tout ce qui est extérieur et visible. Aux femmes le soin des animaux, la relation aux fournisseurs et aux salarié·es, le travail administratif et domestique… ce qui est invisible et morcelé. En découle un manque de reconnaissance qui peut conduire certaines à quitter leurs associés, lassées d’être cantonnées à certaines tâches et mises à l’écart des prises de décisions.

Les futurs agriculteurs ont pu échanger sur les questions de genre avec Annie Moreau-Albert, éleveuse de caprins et co-exploitante du GAEC Chez Albert, à Ardin dans les Deux-Sèvres

Au fil de leurs plaidoyers, les élèves rapportent les témoignages qui les ont touchés. Il y a celui d’une des pionnières de la lutte pour la reconnaissance du statut d’agricultrice, Anne-Marie Crolais qui s’indignait encore dans les années 1980 : « Le vieux tracteur de la ferme était mieux assuré que moi en cas d’accident ! ». Et celui, tout récent, de cette étudiante qui est appelée « poupée » pendant son stage et que l’on empêche de monter sur le tracteur « au cas où elle le cabosserait ». Les élèves ont aussi appris l’existence du #MeToo agricole lancé sur les réseaux par une éleveuse victime de violences sexistes et sexuelles.

Je ne pensais pas que c’était comme ça. On a entendu des témoignages de femmes à qui on dit : “tu veux monter sur le tracteur ? Alors viens, on fait l’amour d’abord.
Théo, élève au lycée agricole des Sicaudières

Violences administratives

Les humiliations ne viennent pas que des cours de ferme. Les banques qui ne répondent pas et les propriétaires qui refusent de louer leurs terres à une femme sont monnaie courante. Les conseillers des Chambres d’agriculture peuvent aussi lâcher des commentaires décourageants : « Vous êtes enceinte, avant de penser à votre installation agricole, vous devriez vous concentrer sur votre enfant. » Si 29 % des chef·fes d’exploitation sont des femmes, elles entrent souvent dans la profession plus tard que leurs homologues masculins, dans le cadre d’une reconversion professionnelle. Ce qui peut les priver des aides publiques à l’installation, limitées à 41 ans.

J’avais peur d’aller en école d’agriculture après le collège. À cause de tous ces clichés sur la place des femmes dans le monde agricole. Mon père ne m’a jamais emmenée sur la ferme, il a toujours favorisé mon frère alors moi j’ai moins d’expérience, de compétences.
Julie, 27 ans, future agricultrice et fille d’agriculteur

« On ne voyait pas que c’était comme ça, ces témoignages nous permettent de comprendre une autre réalité du terrain », explique Quentin. Désormais conscients de ces inégalités, ces agriculteurs de demain semblent acquis à la cause. « Notre espoir, c’est qu’il y ait moins de remarques sexistes dans les nouvelles générations, plus de tolérance pour que les femmes soient considérées comme de véritables professionnelles », concluent-ils.

L’étude de James Hogge, chercheur à l‘IDELE, a permis d’identifier 4 types de profils en fonction de leur participation aux prises de décision et à la manière dont est vécue la répartition des tâches sur la ferme.

Groupes non mixtes pour renforcer sa légitimité

En attendant cette relève, certaines agricultrices trouvent aujourd’hui un appui précieux auprès de leur conjoint, d’autres décident de s’associer entre femmes. Les groupes d’échanges en non-mixité se développent aussi, comme celui du Centre d’Initiatives pour Valoriser l’agriculture et le milieu rural (CIVAM) du Haut Bocage. « On se forme entre femmes à la mécanique, à la tronçonneuse, à la soudure, explique Christine, l’une de ses membres actives. Dans une ambiance bienveillante, détendue, sans jugement, on apprend plus vite entre nous, sans le regard des hommes ». Elles peuvent ensuite se resservir de ces compétences pour adapter les outils sur les fermes. C’est ce qu’a observé le chercheur James Hogge.

Face aux difficultés qu’elles peuvent rencontrer dans leur quotidien, les agricultrices ont trois stratégies possibles. Certaines forcent pour prouver aux hommes qu’elles sont capables. « Ça peut être une motivation mais pour d’autres c’est une pression difficile à supporter. Et 60 % des agricultrices souffrent de troubles musculo-squelettiques », rappellent les lycéen·nes. La deuxième option est de demander de l’aide, mais c’est souvent vers les hommes qu’elles sont amenées à se tourner, ce qui n’est pas toujours confortable, d’où l’intérêt des groupes d’agricultrices en non-mixité.

Sur un chantier quand on demande de l’aide à un homme, il finit souvent par faire à notre place ou bien il nous explique ce que l’on sait déjà faire. C’est déstabilisant, on finit par douter de soi.
Christine, membre du CIVAM du Haut Bocage

La troisième option réside dans le contournement des tâches physiques ou dangereuses par une adaptation des outils et des pratiques. Les femmes deviennent alors vectrices d’innovation par la recherche de plus d’ergonomie au travail ou dans la réduction de l’utilisation de produits dangereux pour l’environnement et la santé. Des avancées qui profitent à toutes les personnes qui travaillent sur l’exploitation. Quel que soit leur sexe.


Rédaction : Marie Gazeau
Photos : Clément Braud (haut de page) et Cathy Perroquin

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