Dans la communauté d’agglomération niortaise, les transports en commun sont gratuits depuis 2017. Par souci d’accès à la mobilité et dans une démarche écologique, une trentaine de villes ont fait ce choix en France. A l’approche des élections municipales, le collectif Marche pour le climat à Niort a sollicité des étudiants en DUT STID (Statistique et informatique décisionnelle) pour mener une enquête permettant d’analyser les usages du réseau de bus Tanlib à l’heure de la gratuité. Interview de Christophe Huchédé, citoyen usager et membre du groupe Action Mobilité du collectif Marche pour le climat.
Dans quel contexte l’enquête sur l’impact de la gratuité des transports en commun dans la communauté d’agglomération de Niort (CAN) a-t-elle été initiée ?
Niort est une des rares villes de moins de 250 000 habitants à avoir, depuis 2017, un plan de prévention de l’atmosphère. En effet, à ce jour 41% des émissions de CO2 émanent des transports, dont les 2/3 seraient liés à l’usage de la voiture individuelle. La CAN connaît aussi des soucis en termes de pollution sonore, en particulier la ville de Niort qui a dû mettre en place en 2015 un arrêté de classement des voies. Pour vous donner un ordre d’idées, la pollution acoustique à Niort est équivalente à celle de Bordeaux, pourtant quatre fois plus dense démographiquement. Face à ces problématiques, le territoire a une carte cruciale à jouer pour inverser la vapeur et mettre en place des axes d’amélioration. La gratuité des transports en commun, instaurée en 2017, est une solution pour réduire l’impact environnemental de nos déplacements, en particulier sur les trajets quotidiens domicile-travail. Mais elle a été mise en place sans augmentation du “versement transport” par les entreprises et sans augmentation des impôts locaux. La part “billetterie”, qui couvrait auparavant 12% du coût total, n’a pas été compensée. Il est donc apparu évident que maintenir un même niveau de service avec 12% en moins était impossible. Le réseau a été revu à la baisse et l’offre de services réduite. D’après le rapport de développement durable de la CAN, la gratuité n’a entraîné une augmentation de la fréquentation des bus que de 22,7%, alors qu’elle est bien plus importante dans d’autres villes aussi passées à la gratuité, comme Dunkerque où la fréquentation a augmenté de 85%. La différence est que dans cette ville le réseau a été fortement développé, pour fidéliser les usagers captifs mais aussi pour en capter de nouveaux. En tant que citoyen et membre du collectif Marche pour le climat, j’ai donc souhaité accompagner des étudiants dans un travail d’enquête. L’objectif était de savoir si la gratuité des bus réduisait l’usage individuel de la voiture, ou au contraire celui des déplacements en moyens « doux » (marche ou vélo) en particulier sur les trajets domicile-travail. Et il s’agissait surtout de savoir si cette solution permettait de répondre aux enjeux de la CAN en matière de pollutions climatique, environnementale et sonore.
Comment l’enquête s’est-elle déroulée et que révèle-t-elle ?
L’enquête a été conduite en janvier et février 2020 par neuf étudiants en DUT statistique et informatique décisionnelle dans le cadre de leur projet tutoré de fin d’études, via une plateforme en ligne et une enquête de terrain. Le but était de dresser une cartographie des usages et des pratiques liés aux transports en commun. Les étudiants avaient pour objectif d’interroger 1000 citoyens. Ce sont quelque 1532 réponses qui ont été finalement collectées. Chaque classe d’âge est représentée à hauteur de 30%, excepté les plus de 60 ans qui représentent environ 7%. Parmi les réponses, les usagers des transports en commun représentent 45,4%. Dans l’ensemble, ils sont satisfaits en matière de confort, de sécurité et de propreté. Mais on remarque un défaut majeur au niveau de la ponctualité. Près de la moitié des usagers (43,5%) trouvent aussi le cadencement des bus insuffisant, ce qui est peu étonnant au vu de la diminution du service qui a accompagné la gratuité. D’anciens usagers qui ne prennent plus le bus depuis le passage à la gratuité pointent également les problèmes des horaires, peu adaptés, et du trop faible développement du réseau dans la CAN. Une offre plus riche le dimanche serait aussi appréciée.
L’enquête a été réalisée cet hiver et les résultats sortent à la veille des élections municipales. Un hasard du calendrier?
La volonté de réaliser cette enquête indépendante en ce début d’année 2020 est volontaire et stratégique. A l’approche des élections municipales des 15 et 22 mars, le collectif Marche pour le climat a fourni récemment à tous les partis politiques un Plan d’Actions Locales et Concrètes abordant différents thèmes : mobilités, sobriété énergétique, zéro déchet, alimentation, biodiversité, agriculture, démocratie. Pour la question des mobilités, nous présentons des mesures phares et simples à mettre en oeuvre visant à placer les transports collectifs au cœur de la ville, à développer les mobilités actives (vélo, marche, micro-mobilité) et à réduire drastiquement l’usage individuel de la voiture. L’enquête menée par les étudiants permet d’appuyer concrètement ces propositions. C’est la preuve par l’exemple. CQFD. Les partis politiques ont entre leurs mains des propositions d’actions concrètes ainsi que les résultats de plus de 1500 usagers et non-usagers des transports en commun locaux. Nous les invitons à s’emparer de ces mesures et à les intégrer dans leur programme électoral. La situation environnementale est catastrophique. Nous laissons aux générations futures une planète dans un état très critique. Il est encore temps d’agir. Les échéances électorales sont l’occasion d’alerter et d’interpeller les décideurs politiques afin qu’ils mettent en place des solutions efficaces au double enjeu de la planète et des usagers.
Propos recueillis par Julie Sibieude
Photo : Julie Sibieude