Voilà une activité qui redynamise un territoire rural tout en fournissant un travail à des personnes durablement éloignées de l’emploi. À Scorbé-Clairvaux (86), les Champis Clairvalois ravivent un savoir-faire local ancien, la culture du champignon, dans une démarche écologique et qualitative. L’activité est portée par l’Entreprise à But d’Emploi (EBE) Le Ressort, inscrite dans l’expérimentation Territoire zéro chômeur de longue durée.
Dans l’ombre de la tour du château du Haut-Clairvaux, les champignonistes multplient les allers-retours entre l’extérieur baigné de soleil et la cave où ils cultivent pleurotes, shiitake et champignons de Paris… Depuis septembre 2022, l’Entreprise à But d’Emploi Le Ressort cultive et commercialise ce trio de variétés, dans son pôle d’activité nommé “Les Champis Clairvalois”. Elle ressuscite ainsi un savoir-faire ancien sur le territoire. Ouverte à l’après-guerre, l’ancienne conserverie de Scorbé-Clairvaux employait plus de 200 personnes avant de faire faillite, en 2004, victime de la vague de délocalisations industrielles et de la concurrence polonaise. “La culture de champignons en cave a été peu à peu abandonnée au profit d’une culture industrielle en hangar”, indique Eric Texier, coordinateur de la champignonnière. Le Ressort a donc souhaité renouer avec cet aspect artisanal, plus complexe à mettre en œuvre, mais également plus qualitatif. “Une cave, c’est un élément vivant. Il faut gérer la température, l’humidité et l’arrosage, et autrement qu’en appuyant sur les touches d’un ordinateur !”
L’EBE Le Ressort renoue avec un savoir-faire artisanal
“Chez nous le champignon est maître de son destin. On ne l’oblige jamais à pousser plus vite qu’il ne le doit”, souligne Eric Texier, en arpentant la clairière souterraine. Il tient ici à se distinguer des pratiques industrielles qui consistent à “doper” le champignon avec de grandes quantités d’eau ou de chauffage pour en accélérer la pousse, quitte à en affadir le goût. De même, la ventilation, indispensable pour fournir au champignon l’oxygène dont il a besoin (et chasser le gaz carbonique susceptible de l’étouffer), est à la fois parcimonieuse et naturelle. “Notre activité, c’est du zéro-déchet et du zéro-intrant”, résume le coordinateur, qui n’utilise en tout et pour tout qu’un peu d’eau de javel diluée, pour nettoyer les salles de culture une fois vides, par respect des normes sanitaires.
Vaste d’un hectare, la galerie centrale en tuffeau ouvre sur cinq salles différentes. Les champignons s’y développent pendant environ trois semaines, sous l’éclairage tamisé des LED et la surveillance quotidienne des salarié·es. Première étape du processus : réceptionner le substrat (la terre spécifique, préparée pour la pousse de champignons) de partenaires loudunais et bretons. “Nous avons un principe de non-concurrence : notre but, c’est de créer de l’emploi, pas d’en détruire. Alors quand on peut faire appel à des spécialistes du territoire déjà existants, on ne s’en prive pas”, expose Eric Texier. À réception des bacs, Les Champis Clairvalois reprennent intégralement la main sur la production. Commence alors une phase d’incubation d’une quinzaine de jours qui va permettre le développement du mycélium, la moisissure qui donnera plus tard le champignon. Une fois celle-ci bien répandue dans le substrat vient l’étape la plus délicate : le choc thermique. En faisant chuter la température ambiante d’une dizaine de degrés, le mycélium se rétracte pour former les champignons que nous connaissons bien. Ceux-ci entrent ensuite dans une phase de croissance impressionnante – la fructification – durant laquelle ils doublent de volume toutes les 24 heures, jusqu’à être fin prêts pour la cueillette.
“Depuis que j’ai ce travail, je revis”
“Ici, le social prime vraiment sur l’entreprise”, affirme le coordinateur du lieu. Pour cause, l’Entreprise à But d’Emploi Le Ressort émane du projet national Territoire zéro chômeur de longue durée (TZCLD), qui vise à employer des personnes éloignées du monde du travail. “On part du principe que nul n’est inemployable, que tout le monde a des compétences à valoriser”, précise Eric Texier, qui ne recrute pas sur CV, dans l’optique de “donner sa chance à tout le monde”. Seuls critères : être motivé·e, avoir été privé·e d’emploi depuis au moins un an et résider dans l’une des cinq communes concernées par le dispositif (Scorbé-Clairvaux, Naintré, Thuré, Colombiers et Cenon-sur-Vienne). Les emplois sont également flexibles : l’idée est d’être à l’écoute des envies, des besoins, des handicaps ou contraintes physiques éventuels des salarié·es, quitte à créer des postes sur mesure. Autre avantage : contrairement aux structures d’insertion classiques qui proposent des contrats courts pour se réinsérer dans le monde du travail,Le Ressort ne contractualise qu’en CDI, et avec la possibilité de retrouver son poste pendant six mois si la personne regrette sa démission.
“Depuis que j’ai ce travail, je revis”, témoigne Céline, 48 ans, qui alterne entre les livraisons, la vente au comptoir et sur les marchés. Licenciée en 2017 après une carrière dans la téléphonie, la résidente de Thuré a enchaîné les petits boulots, avant de rechercher un emploi et d’intégrer la champignonnière. Elle apprécie particulièrement l’ambiance de travail, qui lui permet de reprendre pied dans sa vie personnelle, minée par des problèmes d’addiction. “Je sais que je peux encore retomber, mais ce travail m’aide énormément à m’en sortir.” Sa collègue Nicole, chargée de la vente et la préparation des commandes, partage son enthousiasme. Il s’agit de son premier emploi. “Mon métier, c’était d’élever mes quatre gamins, détaille la Clairvaloise de 56 ans dans un sourire. Maintenant, j’ai envie d’indépendance financière.” Elle mentionne également l’importance de travailler sans stress : “Ce n’est pas comme une entreprise classique, où une mauvaise récolte plomberait l’ambiance. On sait que le profit n’est pas l’objectif principal”. La champignonnière produit en effet une tonne par mois environ, un chiffre largement inférieur aux productions industrielles. Il serait presque impossible de répliquer cette activité hors du dispositif TZCLD. “Les coûts d’installation technique et les coûts de production pour une entreprise lambda en cave naturelle seraient trop importants pour travailler à échelle raisonnée”, précise Eric Texier.
Les champignons sont vendus sur les marchés, à un réseau de restaurateur·ices du secteur, d’AMAP et d’enseignes de la grande distribution, ou bien en vente directe sur le site. Pour la manutention, Lochon Industrie, une entreprise située à Ouzilly (86), a relancé sa construction de remorques dédiées au portage de bacs à champignons spécialement pour Le Ressort. “On a cherché dans toute la France un spécialiste qui aurait ce savoir-faire avant de se rendre compte qu’il en existait un à quatre kilomètres !”, sourit Eric Texier. Un autre effet de la renaissance de la champignonnière.
Rédaction et photos : Hildegard Leloué