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L’agroécologie bouscule la pédagogie en lycée agricole

par | 19 septembre 2023

Agro-écologie au lycée

Avec le plan “Enseigner à produire autrement”, toutes les formations agricoles doivent intégrer les questions d’agroécologie dans les enseignements pour faire évoluer les pratiques des futur·es professionnel·les. Ce qui implique un changement d’approche radical. Comment est-ce que les enseignant·es et les étudiant·es s’emparent de cet enjeu ? Interview de Raphaël Sourisseau, formateur en BTS à la Maison Familiale Rurale Sèvreurope de Bressuire et référent du plan « Enseigner à Produire Autrement ».


Comment inclure l’agroécologie dans l’enseignement agricole?

Aujourd’hui l’agroécologie n’est pas encore dans les fermes mais on doit l’enseigner. Avant au contraire, la réalité des pratiques était celle des enseignements : on apprenait qu’il faut apporter 150 unités d’azote sur du maïs pour avoir un bon rendement, et en allant chez l’agriculteur, on constatait que ça marchait. C’était la recherche scientifique qui produisait les savoirs. Les enseignants relayaient ces connaissances et apprenaient ainsi aux élèves à devenir agriculteurs. C’est ce qui nous a mené vers l’agriculture intensive.
Apprendre l’agroécologie aux étudiants, c’est leur transmettre un modèle agricole qui n’est pas encore en place. C’est considérer la ferme comme un écosystème duquel on tire des aliments. Cela implique l’acquisition de nouvelles connaissances techniques et scientifiques mais aussi une nouvelle approche pédagogique. On doit croiser les regards agronomiques, botaniques, économiques, humains. Certaines fermes fonctionnent bien économiquement mais ne sont pas durables sur le plan environnemental et humain, et c’est cette complexité que l’on doit intégrer dans nos pédagogies. Sans oublier de prendre en compte les incertitudes liées au dérèglement climatique, aux marchés fluctuants… C’est difficile à gérer.

Les enseignant·es s’adaptent-ils ?

C’est un changement radical dans la posture de l’enseignant. Avant on avait des spécialistes en agronomie, en gestion… Ils ont construit une carrière sur le fait d’être experts. En agroécologie les savoirs ne sont pas stabilisés, cela peut être difficile à accepter. Il n’y a pas de recette pour la transition. Et chaque territoire a ses particularités. La connaissance vient des paysans, de ceux qui testent, qui expérimentent, au sein des réseaux CIVAM par exemple. Aller à leur rencontre implique moins de savoirs descendants, moins de salles de cours.
Le plus important c’est d’apprendre à construire une pensée. On travaille sur des situations problématisées. Par exemple, on a regardé avec les élèves le système de culture d’une ferme et pris la problématique « Si demain les produits phytosanitaires sont interdits, comment on fait ? ». On entre donc par une question et pour y répondre on regarde les aspects techniques, humains, économiques… Toi-même en tant que formateur tu ne sais pas trop où ils vont, mais tu leur montres les ressources à disposition. C’est déstabilisant. Surtout quand l’agriculteur en question leur dit que ce n’est pas possible de changer ! Mais ils travaillent en groupe à résoudre ce problème. Pour ce travail, les élèves ont proposé des solutions argumentées et sont même allés plus loin que le cahier des charges de l’agriculture biologique. Et c’est à ce moment-là qu’ils ont réalisé qu’ils avaient appris des choses et développé des compétences. C’est aussi un changement de posture pour eux qui avaient l’impression qu’apprendre c’était passer deux heures en cours à gratter du papier.

Les étudiants sont-ils prêts pour changer de modèle agricole ?

La plupart portent la culture familiale ou celle de leur maître de stage. Mais ils sont prêts à changer et ils savent que c’est nécessaire. Ils ont conscience de l’urgence climatique, de la biodiversité qui s’effondre. Mais aussi des enjeux sociaux. Ils côtoient des fermes qui croulent sous les dettes. Le suicide d’un agriculteur du secteur il y a quelques années a amené une réelle prise de conscience. Je n’aurais pas dit ça il y a dix ans mais aujourd’hui on peut parler du bio avec tous. Ils se projettent davantage dans l’avenir. Quand on aborde des questions socialement vives, comme les OGM ou les bassines, tout le monde s’exprime. Grâce à des outils d’animation, on décortique les points de vues, on prend conscience que tout n’est pas si simple et qu’il y a derrière chaque avis des familles de pensées et des représentations différentes de la société. C’est encore une nouvelle manière de construire des savoirs et développer un esprit critique sur les modèles qui les entourent. Et quand il y a des filles dans un groupe, il y a un truc qui change. En BTS on a seulement un tiers de filles, pour arriver là elles ont dû faire tomber des barrières, elles savent qu’elles vont encore devoir en abattre, ça les rend motrices, ouvertes, prêtes à évoluer.

Les moyens mis à disposition sont-ils suffisants ?

Le ministère de l’Agriculture pose un cadre politique ambitieux. Mais sa mise en application est lente. Un premier plan EPA, Enseigner à Produire Autrement, a été mis en place en 2014. Il a permis de former un réseau de 150 référents régionaux, constitué d’enseignants et de chefs d’exploitations de lycées du secteur public et privé. C’était un travail de fond, scientifique, technique et pédagogique. Un travail de groupe, interdisciplinaire, avec des intervenants, pour construire ensemble une culture commune en agroécologie. Je suis l’un de ces référents.
Le deuxième plan EPA, débuté en 2019, invite chaque établissement agricole à construire un plan à l’échelle du lycée. La dynamique peine à se relancer après le Covid. J’ai rencontré des formateurs incroyables, brillants, pétillants mais qui ont du mal à diffuser sur l’ensemble de l’établissement. Pour construire quelque chose, il faut des rencontres en présentiel et sur des temps longs. Mais la plupart n’ont pas assez d’outils, d’heures dans leur emploi du temps et d’espaces de travail collectif. Sur certains territoires, on manque aussi de fermes supports. Beaucoup de ressources sont mises à notre disposition en ligne, mais on ne peut pas faire d’agroécologie sans aller sur le terrain. Ici on a la chance d’être dans un coin de polyculture élevage avec des agriculteurs en agroécologie. La ferme du lycée agricole des Sicaudières à Bressuire est aussi très en avance sur les questions de pâturage, d’agriculture biologique et de vente directe, c’est un bon support pour les élèves mais aussi pour les professionnels du territoire.


Propos recueillis par : Marie Gazeau
Photo portrait : Marie Gazeau
Photo générale : Annabelle Avril. Cette photo a été prise en septembre 2023 au lycée agricole de Venours (86)

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