Le camion de pompier rouge pétant ne passe pas inaperçu au milieu du marché hebdomadaire de Saint-Maixent-l’Ecole. Devant lui, tout sourire, entourée de tables pleines de livres, Marie Sabourin fait les présentations. « Lui, c’est Raymond, mon camion ». Le duo parcourt une dizaine de communes du sud des Deux-Sèvres depuis 2020. Marie a craqué pour Raymond lors d’une vente aux enchères. Il avait déjà des fenêtres, l’électricité, et une caisse bien carrée qui facilite les rangements. « J’ai fait faire des aménagements intérieurs par un menuisier, de quoi embarquer 800 à 1200 livres ». Raymond et Marie ont depuis fait leur place sur les marchés, entre fromagers et maraîchers. « C’est l’idéal, quand il y a à manger, il y a des clients ! » Encore faut-il les habituer à cette nouvelle denrée. Au départ, « les adultes n’osent pas monter dans le camion ». Alors il faut bien choisir l’assortiment exposé sur les tables extérieures. Il change à chaque marché car les goûts ne sont pas les mêmes d’une commune à l’autre. Ce matin-là, beaucoup de littérature, des romans feel good et des livres de poche pour préparer l’été. « Je mets aussi mes coups de cœur car je sais qu’ici on me fait confiance. Je viens tous les samedis depuis le début. »

Changer les habitudes d’achat en milieu rural

« Mes premiers clients étaient des militants qui venaient pour me soutenir et voulaient consommer autrement et puis avec le bouche à oreille ça c’est démocratisé. Il y a des gens qui ont peur d’entrer dans une librairie, ils se disent qu’ils vont y trouver quelqu’un de très intelligent, qu’il ne faut surtout pas faire de bruit… Moi je suis au milieu du marché et je lis beaucoup de romans policiers ! »
Marie Sabourin, libraire itinérante

Avec le prix unique du livre mis en place depuis 1981 par la loi Lang, un ouvrage ne revient pas plus cher aux Mots Volants. L’enjeu est bien de faire changer les habitudes d’achat en milieu rural où l’on se tourne facilement vers la vente en ligne. Le professionnalisme de Marie fait toute la différence. « Nous les libraires, nous sommes des passeurs de livres , explique-t-elle. Sur mon étalage, j’ai ceux qui se vendent tout seuls, les grands tirages et puis les livres plus discrets que je peux conseiller au cas par cas. » Quand elle ne court pas les marchés, Marie lit en moyenne deux livres par semaine. « C’est important, si je conseille un livre qui contient des scènes de viol ou de meurtre à un client qui ne supporte pas ça, il ne reviendra pas. Je n’ai pas le droit à l’erreur.»

Aline est une fidèle de Mots Volants : « Marie a fait découvrir les mangas à mon fils. Moi je lui ai lancé un petit défi, j’aime bien la Bretagne alors elle me trouve des histoires qui se passent là-bas. Et mon mari lit des romans de cape et d’épée, il n’en trouve pas partout, elle lui en commande. » Si Raymond ne peut pas avoir tous les livres en rayon, les clients peuvent tout avoir en anticipant leur passage au marché.

Un projet bien mûri

Gestion des stocks, retour des invendus, choix des ouvrages, facturation et même un peu de mécanique… « Il ne suffit pas d’aimer les livres pour se lancer dans l’aventure » témoigne Marie Sabourin. Après des études pour devenir libraire et dix ans de salariat dans une librairie indépendante à Niort, l’idée de monter sa propre affaire a pris forme. « Quand je travaillais à Niort, j’avais de plus en plus de copines, voisines autour de Nanteuil qui me disaient : ”j’ai pas envie d’aller à Niort, tu peux me rapporter des livres ?” ». Elle s’est alors dit qu’il y avait quelque chose à faire en milieu rural. C’est la découverte de la librairie itinérante Mokiroule, en Ardèche, qui a été le déclencheur. Il a fallu un an pour monter le projet. Trouver les 45 000€ de financements, le camion, développer les partenariats. « Je travaille avec les collectivités, les écoles, les bibliothèques qui passent par moi pour commander leurs livres, ça m’assure un flux qui me permet de négocier des tarifs auprès des éditeurs. » Car la marge sur les ventes varie entre 20% et 35% du prix du livre en fonction des volumes écoulés. « Je me dégage un petit salaire depuis le départ. » Même si elle ne compte pas ses heures et travaille les week-ends, soutenue par sa famille, Marie ne regrette pas son choix. « C’est motivant, je vois des copains et puis je rencontre toujours de nouvelles personnes. Je m’y retrouve en termes de sociabilité. Parfois c’est fort, quand des enfants font une haie d’honneur dans la cour de l’école pour mon arrivée, ou quand ils débarquent sur le marché en s’écriant : “Maman, viens voir, c’est Marie et Raymond !” »

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