C’est un site primordial en Europe pour l’accueil des oiseaux migrateurs. Les 3 700 hectares de vasières de la baie de l’Aiguillon, entre la Charente-Maritime et la Vendée, sont en partie colonisés par des huîtres sauvages. Un chantier de restauration atypique est en cours.
Elles poussent les unes sur les autres, étouffant littéralement les écosystèmes. Des gisements d’huîtres japonaises sauvages – non récoltables – colonisent la réserve naturelle de la baie de l’Aiguillon, située à cheval entre la Charente-Maritime et la Vendée. Plus précisément sur une portion de ses 3 700 hectares de vasières naturelles, un garde-manger colossal pour les oiseaux migrateurs lors de leurs voyages entre l’Europe et l’Afrique. Ce site est considéré comme l’un des plus importants d’Europe pour l’accueil de ces volatiles. Actuellement, près de 300 hectares sont envahis par les « crassats » d’huîtres, du nom donné à ces amas de coquillages parasites. Les pieux de moules de bouchot et tables ostréicoles abandonnées depuis les années 70 leur servent de support pour proliférer.
« Naturellement, c’est un secteur composé de substrat meuble. Ces huîtres favorisent la sédimentation et modifient même la courantologie », explique Jean-Pierre Guéret, conservateur de la réserve naturelle nationale de la baie de l’Aiguillon côté Charente-Maritime, pour la Ligue de la protection des oiseaux (LPO). La partie vendéenne, elle, est gérée par l’Office français de la biodiversité (OFB). Les 3 400 tonnes de coquillages qui envahissent ces vasières empêchent également les oiseaux limicoles de fouiller avec leur bec afin d’accéder à la nourriture (vers marins, bivalves, invertébrés). Enfin, ces récifs sont aussi une concurrence alimentaire pour les espèces animales sauvages et les coquillages d’élevage.

Défi technique dans les vasières
Cette « invasion » est un problème de taille à l’échelle de la réserve, auquel les gestionnaires se sont attaqués entre 2019 et 2021. Un premier chantier expérimental a été mené sur cette période dans le cadre du projet européen Life baie de l’Aiguillon, permettant de supprimer 7,6 hectares de gisements purs d’huîtres sur 118 hectares de vasières. « Les premiers résultats sont encourageants, nous constatons un retour des populations d’oiseaux et de la faune typique sur les zones restaurées », assure le conservateur. Après cette expérience fructueuse, l’OFB et la LPO mènent actuellement une nouvelle campagne de travaux sur la période 2025-2029, mobilisant un million d’euros (financés par l’OFB et le programme Life espèces marines mobiles).
« Il s’agit cette fois de broyer 25 hectares de gisements d’huîtres sauvages pour restaurer plus de 180 hectares de vasières », précise Jean-Pierre Guéret. Un chantier « unique en Europe » par « son ampleur et ses méthodes innovantes » selon l’OFB et la LPO. Les travaux sont en tout cas atypiques, par leur nature et les contraintes du milieu. Le défi technique a été relevé par l’entreprise des Deux-Sèvres CTAT, qui a réalisé un prototype de machine permettant de broyer finement sur place les coquilles d’huîtres pour éviter une recolonisation. « La difficulté a été de créer une machine pas trop lourde, qui peut à la fois flotter et se promener sur les sédiments », relève André Tempéreau, le dirigeant de CTAT.

Dupliqué sur d’autres sites
Le premier engin conçu sur-mesure a permis de mener le chantier 2019-2021 mais un nouveau prototype a été réalisé pour ces nouveaux travaux, allégé de 20 tonnes. Cette sorte de dameuse amphibie équipée d’une broyeuse affiche un rendement bien supérieur à la précédente. De quoi satisfaire les gestionnaires, ravis de voir ces milieux renaturés petit à petit.

« Ici il peut y avoir entre 80 000 et 100 000 oiseaux en instantané, qui restent de quelques jours à quelques mois. Notre réserve a une importance internationale, en particulier pour la barge à queue noire, l’avocette élégante ou encore le tadorne de Belon. Les enjeux sont importants », estime Régis Gallais, conservateur côté Vendée pour l’OFB. L’intérêt écologique est effectivement capital pour cet écrin capteur de carbone.
« Ces grandes vasières ont une production végétale équivalente à celle d’une forêt tropicale ! On dirait que ces étendues sont nues, mais elles sont extrêmement riches, la productivité y est incroyable. Il y a notamment des diatomées, des algues unicellulaires qui vont nourrir les mollusques. Sauf quand les crassats d’huîtres empêchent leur développement. »
Dominique Chevillon, vice-président de la LPO en charge de la mer et du littoral.
Cette opération de restauration doit être reproduite dans les mois à venir sur d’autres sites de la façade Atlantique : la réserve naturelle nationale de Moëze-Oléron, en Charente-Maritime, gérée par la LPO, et la réserve nationale de chasse et de faune sauvage du golfe du Morbihan, gérée par l’OFB.
Rédaction : Amélia Blanchot
Photos : Amélia Blanchot / RNNBA