Loin des sentiers touristiques battus. Depuis cet été à La Rochelle, au pied des grands immeubles, l’association l’Alternative urbaine propose des balades pour « changer de regard sur la ville ». Les guides sont des personnes éloignées de l’emploi, pour conjuguer culture et insertion.
La visite débute sur le parking d’un magasin de hard-discount. Le béton domine le décor, principalement composé d’immeubles, de routes et de locaux commerciaux. Mais quelques îlots de verdure habillent le cœur du quartier populaire de Villeneuve-les-Salines, à La Rochelle. Notamment ces deux grands sapins. « Michel Crépeau, le maire de la ville à l’époque, les a fait planter en septembre 1971, lorsque les premiers habitants sont arrivés », explique Marie-Anne Lailheugue, « éclaireuse » de l’Alternative urbaine à La Rochelle. Ce samedi matin, la guide anime dans ce secteur une balade d’une heure et demie intitulée « Entre nature urbaine et renouveau collectif ». Trois participantes l’écoutent avec attention.
Implantée à Bordeaux depuis sept ans, l’Alternative urbaine est arrivée dans la cité maritime mi-juillet. Cette association a pour vocation de « changer de regard sur la ville » à travers des balades urbaines « racontées par la voix de celles et ceux qui les habitent ». Les objectifs sont aussi de valoriser les quartiers populaires et créer du lien social. Sans oublier de conjuguer culture et insertion car les « éclaireurs » sont des personnes éloignées de l’emploi, qui vivent parfois dans le quartier. Employé·es par Cohésion 17, un organisme d’insertion, ils et elles sont rémunéré·es pour ces visites.
« C’est un tremplin par la culture. C’est innovant, ça change du ménage ou du jardinage qui leur sont habituellement proposés. »
Sandra Ripeau, présidente de l’Alternative urbaine La Rochelle.

« Chacun s’approprie l’histoire »
Chaque éclaireur est formé par l’antenne rochelaise de cette association durant 46 heures. « Ils travaillent bien sûr l’aspect historique, entre autres avec Paroles de rochelais, mais également avec l’OPH (bailleur social, NDLR). Une comédienne intervient pour la prise de parole en public, ils suivent également un guide professionnel pendant l’une de ses visites », énumère la présidente. « Ensuite chacun s’approprie l’histoire et fait sa propre balade », précise Marie-Anne Lailheugue. Cette graphiste de formation n’habite pas à Villeneuve-les-Salines mais connaît désormais les lieux comme sa poche. « À la base, il y avait des marais salants ici. Puis il y a eu cinq fermes. D’ailleurs on aperçoit au loin le toit de la ferme de la Moulinette », détaille la guide en montrant la vaste étendue verte entourant les immeubles. Car cette balade est aussi citadine qu’environnementale, le quartier étant bordé par un lac et une partie du marais de Tasdon, renaturé entre 2019 et 2021. Sur ces 82 hectares de quiétude, 150 espèces d’oiseaux sont recensées. « Il y a beaucoup d’espaces naturels ici. Grâce à un décret paru en 1973, le maire avait volontairement dédensifié l’habitat par rapport au projet initial pour laisser de la place aux espaces verts », explique l’éclaireuse.
Dans le petit public de ce samedi matin, Murielle, 65 ans, habitante de Villeneuve depuis 1981. Elle est venue avec sa fille Amélie, 39 ans, qui a grandi ici jusqu’à ses 23 ans. « C’est hyper intéressant de voir le panachage entre la nature et la ville, de se plonger dans les images d’archives. J’ai redécouvert mon quartier ! », sourit cette créatrice de contenus.

Villeneuve-les-Salines et Mireuil
Les locales sont enchantées par cette visite à prix libre. La mère et la fille vont même découvrir les dessous d’œuvres d’arts situées au pied des tours. Murielle, malgré ses 44 ans d’ancienneté dans les parages, ignorait que le port imaginaire en mosaïque avait été réalisé par Teresa Montiel, une artiste chilienne ayant fui le régime de Pinochet. « Je connaissais cet endroit mais pas son histoire. Je découvre encore des choses », sourit-elle. Marie-Anne Lailheugue prend soin de parler du passé, du présent, mais aussi du futur. Car un Programme de renouvellement urbain (PRU) doit métamorphoser ce secteur « pour répondre à l’enclavement et à la paupérisation ».
Pour l’heure, seuls les quartiers de Villeneuve-les-Salines et Mireuil sont concernés par ces balades d’un autre genre. La présidente de l’antenne rochelaise espère pouvoir en développer de nouvelles à Port-Neuf ou encore Laleu-La Pallice. « Nous souhaitons recruter deux éclaireurs par quartier. Comme nous sommes dans une démarche de retour à l’emploi, les éclaireurs actuels n’ont pas vocation à rester définitivement avec nous. Nous allons changer tous les ans », affirme Sandra Ripeau. La responsable est satisfaite du « bon démarrage » des activités. Elle a constaté que peu de touristes étaient présent·es parmi les visiteurs, la majorité des participant·es « grand public » étant des habitant·es des zones concernées. L’Alternative urbaine organise aussi des balades sur-mesure à destination des entreprises ou des associations. Pour découvrir ou redécouvrir ces quartiers méconnus.
Rédaction et photos : Amélia Blanchot

