Dans le Sud-Charente, à Lachaise, Laurence Frouin a décidé de réhabiliter le domaine de Valfontaine pour en faire un lieu d’habitat partagé pour personnes âgées. Non pas une résidence séniors ou une maison de retraite. Mais une colocation adaptée, solidaire et ouverte sur le territoire, avec des gîtes pour accueillir les petits-enfants, un jardin partagé, un café associatif et un tiers-lieu où toutes les générations pourront se côtoyer. Sous statut coopératif Scic, le projet Valfontaine Village se construit en lien avec des retraité·es déjà intéressé·es et vient d’ouvrir son capital. Objectifs : démarrer les travaux en 2025 et accueillir les premier·ères habitant·es fin 2026. Entretien avec Laurence Frouin, initiatrice du projet.
Pouvez-vous nous décrire le projet « Valfontaine Village » ?
Valfontaine est le domaine qui appartient à ma famille depuis sept générations, nanti notamment d’une grande maison construite au 19e siècle par mon arrière-arrière-grand-père, d’anciennes écuries et d’un parc de 3 hectares. Nous souhaitons désormais que ce domaine devienne un pôle territorial reposant sur trois piliers. D’abord, le soin aux aînés, via l’habitat partagé pour les retraités, aménagé dans la grande maison que l’on nomme « Maison de Gabrielle ». Le deuxième pilier, primordial pour moi, est le lien familial, au sens large : les proches, l’entourage, etc. Cela se matérialisera par deux chambres d’amis dans l’habitat partagé pour recevoir les proches aidants des résidents. Nous allons également aménager des gîtes destinés à accueillir un tourisme familial. On sait en effet que, parmi les freins à quitter son domicile quand on vit à la campagne, il y a la peur de ne plus pouvoir accueillir ses enfants et ses petits-enfants. C’est un vrai sujet pour les grands-parents et pour les familles : d’où cette idée de gîtes, ouverts à tous et toutes bien sûr, mais avant tout destinés aux proches des résidents de la Maison de Gabrielle. Enfin, le troisième pilier de notre projet est l’ancrage territorial, avec la création d’un tiers-lieu. Car vivre et vieillir sereinement, c’est être entouré au quotidien, certes, mais c’est aussi continuer à être des citoyens à part entière. Tout ce que l’on développe à Valfontaine sera utile et ouvert au territoire. Je ne voulais pas quelque chose qui soit refermé sur soi.
Comment vous est venue l’idée de ce projet ?
De mon enfance ici, de tout mon parcours de vie, de la chance que j’ai eue ! J’ai en effet grandi dans ces lieux. Dans la grande maison, il y avait mes grands-parents et mes grands-tantes, dont mes tantes s’occupaient : six anciens en tout, que je pouvais toujours aller voir pour parler. À mon tour, quand j’ai dû m’occuper de mes parents âgés à partir de 2014, j’ai constaté un grand écart improbable entre ce que j’avais vécu enfant et ce que j’étais amenée à vivre en tant qu’adulte avec mes proches vieillissants. Alors même que la prise en charge médicale du grand âge a fait un bond, en quarante ans on a régressé humainement dans le soin apporté aux personnes âgées. Comment est-ce possible ? C’est quelque chose que je ne peux pas accepter. En 2019, ma mère est tombée malade et je me suis installée avec elle à son retour d’hospitalisation : au vu de tout ce qu’il fallait d’organisation pour qu’elle reste à la maison, je me suis rendu compte que c’était une chance que je sois là. Si je n’avais pas pu venir, maman, 85 ans, n’aurait pas pu rester chez elle, là où elle a vécu durant 50 ans. J’ai ainsi conçu le souhait d’un projet pour Valfontaine qui soit lié aux personnes âgées et en accord avec les valeurs de ce lieu, qui ont toujours été l’accueil, y compris de réfugiés, et le mélange des générations.
Vous dites vouloir ainsi changer notre perception de la vieillesse…
Pour moi, c’est une énorme chance de vieillir, contrairement à ce que l’on cherche à nous faire croire aujourd’hui. Ici, nous sommes en milieu agricole avec tout ce que cela implique de transmission – y compris de valeurs. Quand j’étais petite, les personnes âgées étaient avant tout des personnes que l’on respectait. Les dénigrer, comme cela peut être dans l’air du temps aujourd’hui, est très bizarre pour moi. Nous, on les écoutait, on se calait sur leur rythme, elles participaient au quotidien. Dans mon enfance, je n’ai jamais vu les personnes âgées, même très âgées, rester inactives. Alors que, en maison de retraite, les gens passent leur journée à attendre : qu’on vienne les lever, les toiletter, les nourrir etc. Moi, je veux changer ce regard et Valfontaine, dans sa gouvernance même, y participe déjà. Dans mon conseil d’administration, je suis la plus jeune ! Les gens qui sont engagés dans le projet ont tous et toutes entre 68 et 82 ans. Le fait de changer le regard sur la vieillesse, cela permet aussi à nous-mêmes, les vieux et vieilles de demain, de respecter dès aujourd’hui notre futur rythme. La vieillesse est un temps d’échange dont on peut profiter pour mieux se connaître et tisser du lien avec les plus jeunes. Ce temps de la retraite qui nous est donné doit servir à cela : lire des histoires à nos petits-enfants. Quand on est petits, les parents sont toujours occupés… et si on va les voir, on risque de se faire embaucher ! Les vieux et les vieilles ont du temps à consacrer aux plus jeunes et c’est un temps calme. Seule la vieillesse permet cela. Vieillir, c’est vivre. Et pas seulement mécaniquement : c’est vivre socialement, avec tout cela implique.
Est-ce pour cela aussi que les futur·es résidente·s de Valfontaine sont impliqué·es dès la conception du lieu ?
J’ai commencé par créer une association et un premier groupe de travail, associant des élus et des personnes qui font du service à domicile pour personnes âgées en milieu rural. Le groupe de futurs habitants est, lui, composé de sept personnes pour le moment, avec chacun des situations différentes et des états d’engagement différents. Ils ont beaucoup travaillé sur la conception des espaces collectifs. Par exemple, on a fait le choix de ne faire qu’une seule buanderie partagée plutôt que d’avoir chacun sa machine à laver. Ils ont préféré concevoir une salle d’activités séparée de la salle à manger, plutôt que d’avoir une très grande salle qui servirait à tout. On travaille aussi sur les circulations, l’agencement du jardin (par où l’on rentre, qui a le droit de rentrer, etc.) Nous allons imaginer avec eux l’agencement intérieur : les logements seront bien sûr aux normes PMR (personnes à mobilité réduite, Ndlr), mais ce n’est pas suffisant. Quand on vieillit, il y a des choses qui vous simplifient la vie mais qui ne sont pas comprises dans ces normes. Nous allons y réfléchir avec une ergonome. Avant l’ouverture, nous travaillerons aussi à la rédaction d’une charte de vie collective : qu’est-ce qui est commun ? qu’est-ce qui est privé ? comment gère-t-on les conflits ? Moi, je compare cela aux réflexions que l’on mène avec un jeune lycéen qui s’apprête à partir s’installer dans une ville étudiante : c’est un vrai projet, global, et non pas une solution face à une situation compliquée. L’allongement de la vie fait que c’est un vrai projet.
Comment la population locale est-elle impliquée dans le projet ?
La commune de Lachaise, 340 habitants, est adhérente de l’association et sociétaire de la coopérative. Le projet est soutenu par la communauté de communes, par le Pays Sud-Charente, par le Département, la Région et l’Europe. On est ici dans un territoire rural, où ce projet détonne un peu et attire bien au-delà du local : des gens de Lyon, de Gironde, de Paris, etc. s’intéressent au projet. Et le lieu vit déjà, ouvert aux habitants de la commune : on organise depuis trois ans une fête de la Saint-Jean autour du thème de la prévention par le sport, il y a un jardin associatif, un café associatif. Nous accueillons la gym, la marche, l’atelier mémoire, la relaxation, le yoga, etc. À terme, toutes ces activités seront accueillies dans le tiers-lieu.
Pourquoi avoir choisi le statut Scic1 pour le projet ?
Justement, parce que je veux que ce soit un projet collaboratif, pérenne et non lucratif. Je souhaite que ce projet, à long terme, ne devienne jamais une résidence sénior classique, lucrative et accessible seulement aux plus aisés. Dans une Scic, il n’y a pas de dividendes : tous les bénéfices sont réinvestis dans l’activité. Notre projet est sociétal et nous souhaitons que les loyers soient le plus accessible possible pour la population moyenne : en augmentant le capital citoyen de la Scic, nous augmentons notre apport, nous évitons un emprunt trop lourd et cela permet de modérer le prix des loyers. C’est aussi pour cela que nous avons ouvert le capital en octobre dernier : notre capital de départ s’élève à 85 000€, nous espérons atteindre 200 000€ avant la fin de l’année. L’idéal serait d’arriver à réunir 900 000€ de capital pour sécuriser le projet. Le minimum est de 1000€ (10 parts) pour entrer au capital, sur lequel il y a un crédit d’impôt de 25 %. Le capital est ensuite bloqué durant 7 ans : c’est de l’épargne solidaire, non rémunérée mais assurant la pérennité d’un projet local, concret et auquel on peut participer. La Scic permet en outre d’associer des financements publics, des financements privés et du capital citoyen. Elle permet enfin, en termes de gouvernance, que chacun soit acteur des choix, au contact direct des besoins du territoire.
Comment réagissent vos proches à ce projet mené sur le domaine familial ?
Super bien ! Nous sommes trois représentants de la septième génération, avec ma sœur et mon cousin. Tous les deux sont adhérents de l’association et sociétaires de la coopérative. Mes nièces sont bénévoles à la fête de la Saint-Jean. Tout le monde est content et suit cela avec attention.
Chiffres clés du projet
32 : le nombre de sociétaires actuel·les dans la Scic Valfontaine Village
50 : le nombre d’adhérent·es à l’association Valfontaine Village
12 : le nombre de logements prévus au sein de la « Maison de Gabrielle » : 5 studios, 7 deux-pièces
Entre 600 et 1200 € : le tarif des loyers des logements, en fonction de leur surface
3,5 M€ : le coût estimé du chantier de réhabilitation de Valfontaine (2M€ pour la « Maison de Gabrielle », 1M€ pour les gîtes familiaux et 500 000 € pour les extérieurs). Avec le soutien financier du Département de la Charente, de la Région Nouvelle-Aquitaine, des caisses de retraites et du mécénat d’entreprise
Propos recueillis par : Myriam Hassoun
Photos : Noémie Pinganaud
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- Société coopérative d’intérêt collectif. De forme privée et d’intérêt public, la Scic associe des personnes physiques ou morales autour d’un projet commun alliant efficacité économique, développement local et utilité sociale. ↩︎