À Niort, les loutres peuvent profiter des étoiles

par | 23 septembre 2025


Rallumons les étoiles ! Le 11 octobre aura lieu Le Jour de la Nuit, opération nationale de sensibilisation à la pollution lumineuse, son impact sur les écosystèmes et sur la consommation énergétique. La ville de Niort est précurseur dans la lutte contre la pollution lumineuse et réussit à trouver le point d’équilibre entre protection de l’environnement et besoin d’éclairage nocturne des habitant·es. Interview de Dominique Six, premier adjoint en charge de l’espace public et Morgane Aubineau, responsable de l’éclairage public.


Depuis quand la ville de Niort s’intéresse-t-elle à la pollution lumineuse ?

Dominique Six : Dès 2014 nous avons fait un diagnostic de l’éclairage public afin d’organiser la rénovation du parc. Cela nous a permis de mieux connaître ce patrimoine qui est vaste, de savoir précisément où on éclaire et avec quel type de matériel. Puis les premières restrictions technologiques sont apparues en 2015 avec l’interdiction de luminaires qui émettent des ultra-violets très attractifs pour beaucoup d’insectes. Nous avons décidé d’aller plus loin que la réglementation lors de la rédaction de notre Schéma Directeur Aménagement Lumière en 2018, puis dans notre plan d’action Niort durable 2030. Depuis, nous renouvelons progressivement notre parc et différencions de plus en plus les zones et horaires d’éclairage. On a ainsi diminué notre consommation d’électricité de 57% depuis 2017, ce qui représente quasiment 2 millions d’euros d’économie. Et nous avons obtenu une étoile dans le cadre de la labellisation « villes et villages étoilés » en mai 2021. Ces étoiles sont plus difficiles à acquérir que les fleurs des villages fleuris, surtout pour une grande ville.

Quelles mesures concrètes ont été prises ?

Morgane Aubineau : Le choix des luminaires est essentiel, nous en avons choisi qui n’émettent aucune lumière au-dessus de l’horizon, contrairement à ceux en boule qui éclairent le ciel. Les LED nous ont permis de passer d’une consommation de 130 watts à 36 par point lumineux. Nous aurions pu descendre jusqu’à 30 watts en prenant des LED de lumière bleue mais nous avons préféré garder des couleurs de lumières plus chaudes, moins attractives pour la biodiversité.
Les économies viennent aussi des choix de zones et d’horaires d’éclairage plus précis. Après la réalisation d’un audit nocturne, nous avons fait des tests d’extinction par secteur. Nous avons ensuite interrogé les habitants pour qu’ils donnent leur avis sur l’expérimentation et plus de 80% des personnes ont émis un avis favorable.

Comment avez-vous obtenu un tel plébiscite ?

DS : Nous n’avons pas pris les gens par surprise. Cette question de l’extinction a commencé à être abordée dès 2015 au travers des conseils de quartier. Nous avons aussi accompagné l’évolution des balades nocturnes en canoë pour ne plus éclairer la rivière, fait des campagnes de communication via des affiches « Niort c’est beau la nuit ». Cette idée infusait et rencontrait l’appétence des Niortais pour consommer juste. Pourquoi éclairer là où il n’y a pas d’usage ? Peut-être que le fait d’avoir expérimenté juste après les confinements a joué : les gens avaient pris le temps de se poser les bonnes questions. Désormais 61% de l’éclairage de la ville s’éteint de minuit à 5h30. Sur 60 000 habitants, nous n’avons qu’une ou deux réclamations par an, souvent de nouveaux arrivants qui pensent qu’il s’agit d’une panne.

Les enjeux de maintien de biodiversité face à la pollution lumineuse se limitent-ils aux insectes nocturnes ?

MA : Nous n’avons pas évalué la sensibilité à nos lumières nocturnes pour chaque espèce présente, mais nous veillons à maintenir une trame noire. Un corridor de circulation que l’on n’éclaire pas pour éviter les pertes de biodiversité et permettre la circulation d’un maximum d’espèces. Et les enjeux sur Niort sont importants. C’est la plus grosse commune du parc naturel régional du marais poitevin. Traversée par un fleuve, la Sèvre Niortaise, elle présente de nombreux milieux différents, très riches en biodiversité : papillons, micro mammifères, poissons, chauve-souris bien sûr, mais aussi quelques espèces protégées emblématiques comme des outardes canepetières, des œdicnèmes criards et même la loutre d’Europe. Cette espèce est un repère pour nous. Elle est réapparue depuis quelques années dans le centre-ville. La loutre n’est pas particulièrement nocturne, sur les étangs de la Brenne elle est plutôt active en journée; mais en ville, elle a décalé ses horaires pour une meilleure survie. Si elle est présente, cela signifie que toute une cohorte d’espèces végétales et animales a profité avec elle d’une certaine quiétude environnementale.

Comment avez-vous trouvé des compromis entre les usages humains et la biodiversité ?

MA : Par exemple, pour les cheminements sur l’île de Pré Leroy, en plein centre-ville, nous avons fait des simulations et décidé de ne garder des luminaires que sur un seul itinéraire au lieu d’en avoir trois. Cela libère de l’espace pour que la loutre puisse circuler de manière apaisée. Sur un autre secteur de migration crapauds, moins fréquenté par les humains, nous avons éteint car nous retrouvions des batraciens bloqués sous les réverbères. Et dans la rue du 8 mai 1945, les piétons traversent la Sèvre au niveau d’un corridor écologique reconnu. Pour ne pas l’éclairer en permanence, on a installé un bouton poussoir mécanique qui permet d’allumer la lumière à la demande.

Ces extinctions n’engendrent pas de sentiment d’insécurité ?

MA : Le centre-ville reste allumé car il y a des usages importants au cœur de la nuit. Nous avons ensuite maintenu les axes principaux allumés pour que les habitants évitent de prendre leur voiture. L’idée est qu’ils aient moins de 1 km à faire à vélo dans le noir pour rentrer chez eux. Nous avons aussi travaillé sur les recommandations de la police et de la gendarmerie. Si on a une grande place au milieu de barres d’immeuble, on ne s’interdit pas d’éteindre la place si on a gardé les éclairages sur les cheminements piétons entre les immeubles. On fait de la dentelle. Et contrairement aux idées reçues, nous avons comparé les chiffres de dégradation ou de vol avant et après les extinctions sans voir de différence.

Quelle est la prochaine étape ?

DS : Le domaine public représente moins de 20% de la superficie de la ville. Nous avons donc engagé des démarches de concertation pour travailler avec les acteurs économiques. On constate une méconnaissance des entreprises qui ne se posent pas la question de leur consommation nocturne. Pourtant le réglementation s’applique autant au privé qu’au public et à partir de 2027, certains luminaires et ampoules ne seront plus produits. Nous avons choisi d’anticiper ce que le législateur peut être amené à décider et on arrive à embarquer les acteurs économiques dans cette dynamique car ils sont aussi dans l’anticipation.


Propos recueillis par : Marie Gazeau
Photos : Marie Gazeau / Hélène Bannier

Vous aimerez aussi

Partagez cet article en un clic

Vous êtes sensible à notre ligne éditoriale ? 

Soutenez un média indépendant qui propose en accès libre tous ses articles et podcasts. Si nous avons fait le choix de la gratuité, c’est pour permettre au plus grand nombre d’avoir accès à des contenus d’information sur la transition écologique et sociale, défi majeur de notre époque. Nous avons par ailleurs décidé de ne pas avoir recours à la publicité sur notre site, pour défendre un journalisme à l’écoute de la société et non des annonceurs. 

Cependant, produire des contenus d’information de qualité a un coût, essentiellement pour payer les journalistes et photographes qui réalisent les reportages. Et nous tenons à les rémunérer correctement, afin de faire vivre au sein de notre média les valeurs que nous prônons dans nos articles. 

Alors votre contribution en tant que lecteur est essentielle, qu’elle soit petite ou grande, régulière ou ponctuelle. Elle nous permettra de continuer à proposer chaque semaine des reportages qui replacent l’humain et la planète au cœur des priorités. 

Abonnez-vous gratuitement à notre lettre d’information

pour recevoir une fois par mois les actualités de la transition écologique et sociale

Verified by MonsterInsights