Les personnes malades du cancer ou en rémission peuvent participer à des “bains de forêt” grâce à la Ligue contre le cancer. Une pratique importée du Japon qui a des bénéfices sur le mental et le physique. Reportage en forêt de Moulière, à côté de Poitiers, avec Bellinda Biget, co-fondatrice de Jardin Passion Nature.
En ce mardi matin un peu frais, elles sont sept femmes à se retrouver sur le parking de la Maison de la forêt à Montamisé. Chaussures de rando, doudoune, sac à dos et petit sourire aux lèvres. C’est la deuxième séance de sylvothérapie sur un cycle de six, destiné aux personnes atteintes d’un cancer ou qui l’ont été. Ces séances sont financées par la Ligue contre le cancer de la Vienne.
Une approche en douceur
Direction le cœur de la forêt. À partir de maintenant, plus personne ne parle. Seule la voix de Bellinda Biget chuchote les indications : «Ce matin, vous prenez ce que vous voulez prendre et laissez le reste ». Le groupe avance sur un chemin large, puis en emprunte un plus petit, avant de quitter le sentier et de se mettre en cercle au milieu des arbres. Le rythme est lent. Les participantes – rares sont les hommes participant aux séances – ont entre 30 et 70 ans. Étirements, respiration, les femmes se tiennent la main pour se connecter doucement les unes aux autres, au milieu des grands arbres de la forêt domaniale. Le soleil du matin commence à scintiller entre les feuilles.
Co-fondatrice de Jardin Passion Nature, Bellinda Biget se définit comme « facilitatrice » et n’aime pas le terme de sylvothérapeute : « Je ne suis pas thérapeute. J’accompagne les gens pour une expérience sensorielle dans la forêt, je suis le trait d’union entre la nature et eux. » Brigitte, participante du jour, confirme : « Il ne faut pas venir en pensant thérapie. C’est un moment pour nous, de communion avec la forêt, et si ça fait du bien, tant mieux ! »
Ancienne assistante maternelle, adepte des pédagogies alternatives, Bellinda est passée elle-même par la maladie. Lors de cette période de sa vie, elle a remarqué l’importance de la nature sur son bien-être et a ensuite suivi une formation pour en faire sa profession. La pratique du Shinrin-yoku, ou bain de forêt, a été importée du Japon où elle est pratiquée depuis les années 1980 pour se reconnecter à soi au cœur de la nature.
Faire lâcher le mental
Après s’être servi des yeux pour s’imprégner des lieux, les participantes se parent d’un masque. Privées de la vue, leur attention est portée sur l’ouïe. Le vent souffle fort dans les branches, quelques chants d’oiseaux résonnent, les feuilles mortes craquent sous les pas. Marcher, se laisser guider, être attentif au relief du sol, l’expérience mobilise également le toucher. Bellinda s’appuie sur la sophrologie et la pleine conscience. « J’ai construit les séances de manière à utiliser les mots et l’effet miroir que la nature peut avoir sur les personnes. Il y a une progressivité… au contact des arbres, peu à peu le mental lâche. »
La matinée avance mais la notion du temps n’est plus palpable que par le changement de lumière. Chacune choisit un arbre et vient s’asseoir à son pied. Un temps d’observation et d’écoute est proposé, puis il s’agit de choisir une feuille « la plus abîmée possible ». Sur leur petit cahier, les femmes dessinent cette feuille et l’animatrice propose d’y ajouter la phrase : « Je suis telle que je suis. » Lors d’un moment d’intériorisation, chacune peut écrire ce qui lui vient, à l’instant présent. La séance touche à sa fin. Un petit bâton orné d’une plume circule et chacune peut mettre des mots sur son ressenti. Brigitte témoigne :
« Moi, j’ai eu trois surprises que je veux bien partager avec vous. D’abord, je suis beaucoup plus facilement entrée dans la séance que la dernière fois, j’ai réussi à lâcher prise. Ensuite, moi qui n’ai pas beaucoup de sensibilité aux pieds à cause de la chimio, j’ai été étonnée de pouvoir marcher les yeux bandés sans me poser de questions, et que tout se soit bien passé. Et enfin, je n’ai pas du tout l’habitude d’écrire, mais tout à l’heure, j’ai écrit des tartines. À croire que la forêt m’a bien accueillie !»
La science confirme
Plusieurs études scientifiques indiquent que le bain de forêt réduit le stress et l’anxiété, favorisant un meilleur sommeil. Marcher deux heures en forêt réduit le niveau de cortisol dans le sang, augmente l’activité du système immunitaire, diminue la pression artérielle et la fréquence cardiaque, augmente l’activité du système nerveux sympathique, ce qui caractérise un état intérieur plus calme. Passer trois jours en forêt permet de diminuer l’adrénaline urinaire, une autre hormone liée aux situations de stress, d’augmenter le nombre et l’activité des cellules « natural killers ». Ces cellules aident à mobiliser le système immunitaire pour prévenir les infections et empêcher la croissance des tumeurs cancéreuses.
Les femmes qu’accompagne Bellinda témoignent chacune d’un ressenti différent, des souvenirs que cela fait remonter, de leur lien avec la nature, de la force dont elles sont capables dans cette période de fragilité qu’est la maladie, de la joie d’avoir été pleinement dans l’instant présent au milieu de la présence apaisante des arbres. Lors de la dernière séance, le bâton de parole du groupe sera rendu à la forêt, gardien des secrets et des moments d’échanges partagés.
Rédaction et photos : Claire Marquis